À M. Alfred Guérard.
Le désœuvré qui flâne aux ventes de l’encan
Voit encore exhiber de ces vieilles guitares
Qui chantèrent l’amour autrefois... Dieu sait quand !...
Les chevilles s’en vont et les cordes sont rares.
On aperçoit le cuivre aux anciens fils d’argent,
Et la touche d’ivoire est absente ou jaunie.
Sous le toit d’un grenier, quelque rat négligent
A maculé parfois la table d’harmonie.
Le débris du vieux temps passe de main en main.
Sous les regards moqueurs, la moue injurieuse.
Objet d’un dédaigneux et rapide examen...
On aime à plaisanter la chose curieuse.
Ah ! les fins quolibets qu’on débite à l’entour !
On chantonne à mi-voix des lambeaux de romance ;
On demande quel fut l’honnête troubadour
Qui soupira le nom de Palmyre ou d’Hermance.
Chacun à sa façon, pour être original,
Sur le pauvre instrument fait son geste ou saphrase :
L’expert laisse éclater son gros rire banal ;
Les muets ont aussi leur silence qui jase.
Par malheur, la guitare a glissé brusquement
Des mains d’un maladroit, et tombe sur les dalles...
Tout le monde est surpris d’un sourd gémissement
Qui réveille l’écho vibrant des hautes salles,
Longe les murs déserts des sombres corridors,
Et s’en va tout plaintif se perdre au fond des caves...
Ce n’est rien... mais chacun frissonne et pense aux morts.
On écoute expirer lentement les sons graves.
On ne se moque plus des galants trépassés,
On ne plaisante plus les vieilles amoureuses,
Dont peut-être aujourd’hui les ossements glacés
Sont unis dans la paix des fosses ténébreuses.