Valentines et autres vers/La Fée

 

Il en est encore une au monde,
Je la rencontre quelquefois,
Je dois vous dire qu’elle est blonde
Et qu’elle habite au fond des bois.

N’était que Vous, Vous êtes brune
Et que Vous habitez Paris,
Vous vous ressemblez… sous la lune,
Et quand le temps est un peu gris.

Or, dernièrement, sur ma route
J’ai vu ma fée aux yeux subtils :
« Que faites-vous ? — Je vous écoute.
— Et les amours, comment vont-ils ?

— Ah ! ne m’en parlez pas, Madame,
C’est toujours là que l’on a mal ;
Si ce n’est au corps… c’est à l’âme.
L’amour, au diable l’animal !

— Méchant ! voulez-vous bien vous taire,
Vous n’iriez pas en Paradis ;
Si son nom n’est pas un mystère,
Dites-le moi » — « Je le lui dis. »

— « Que fait-elle ? » — « Elle… attend sa fête. »
— « C’est dire qu’elle ne fait rien.
Comment est-elle ! » — « Elle est parfaite. »
— « Et vous l’aimez ? » — « Je le crois bien. »

— « Vous l’adorez ! » — J’en perds la tête.
— Vous la suivriez n’importe où ;
Ah ! mon ami… quel grand poète
Vous faites… oui, vous êtes fou.

Mais si votre femme est sans tache,
Sans le moindre… petit défaut,
Inutile qu’on vous le cache,
Ce n’est pas celle qu’il vous faut.

Il faut partir… battre les routes,
Et vous verrez à l’horizon
Luire enfin la femme entre toutes
Que vous destine… la Raison.

Voulez-vous que je vous la peigne
Comme on se peint dans les miroirs ?
Ses cheveux mordus par le peigne
Ont des fils blancs dans leurs fils noirs ;

Elle n’a… qu’une faim de louve,
Et du cœur… si vous en avez ;
C’est une femme qui se trouve
Un peu comme vous vous trouvez.

Elle n’est ni laide ni bête,
Avec… comment dire ?… un travers…
Un petit coup… quoi ! sur la tête,
Et capable d’aimer les vers ;

Ni très mauvaise ni très bonne,
Tâchant de vivre… comme il sied,
Et… dans un coin de sa personne
Elle a… mettons… un cor au pied ! »

— « Ah !… quelle horreur !… jamais, Madame !
— « Je vous dis, clair comme le jour :
Ce qu’il faut avoir dans la femme
N’est pas la femme, c’est l’amour.

Pour avoir l’amour, imbécile !
On ne prend pas trente partis,
La chanson le dit, c’est facile :
Il faut des époux assortis.

L’amour n’est pas fils de Bohême ;
Il a parfaitement sa loi :
Si tu n’es digne que je t’aime
Je me fiche pas mal de toi.

Bonsoir ». Ainsi parla ma fée
Qui parle… presque avec ta voix ;
Puis je la vis, d’aube coiffée,
Reprendre le chemin des bois.

Son conseil est bon ; qu’il se perde,
Saint Antoine, on peut vous prier ;
Mais partir !… au loin… et puis, merde !
Je ne veux pas me marier.

Collection: 
1921

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