Tu rangeais en chantant pour le repas du soir

Tu rangeais en chantant pour le repas du soir
Le pain blond, du laitage et le fruit de nos treilles,
Autour d'un rayon d'or formé par les abeilles ;
Et te voici qui viens tout près de moi t'asseoir.

Il a plu ; l'air mouillé répand une odeur verte,
Le fifre d'un insecte invisible au plafond
Alterne avec le bruit que les gouttes d'eau font
Sur des feuilles au bord de la croisée ouverte.

Nous rêvons, accoudés sur la nappe, devant
Les mets simples auxquels nul de nous deux ne touche.
Nous nous taisons ; parfois tu poses sur ma bouche
Ton bras nu qui frissonne au souffle frais du vent.

La fenêtre faisant un cadre au paysage
Se peint avec les bois et l'horizon natal
Sur les flancs ronds et purs d'un vase de cristal
Dont le courbe miroir nous grossit le visage.

Là-bas, le ciel d'automne est rouge et soucieux.
Ô doux et longs instants d'amour ! Le crépuscule
Décolore déjà l'univers minuscule
Qui diaprait l'azur de la buire et nos yeux.

Ton coeur frappe à la place où ma tête s'appuie,
Nous écoutons les fruits tomber dans le jardin,
Pensifs, et tressaillant ensemble quand, soudain,
Le vent secoue un arbre encor chargé de pluie.

Alors, et bénissant le jour qui va finir,
Comme deux voyageurs, d'un regard en arrière,
Nous laissons dans l'ardeur d'une même prière
Et nos mains et nos voix et nos âmes s'unir.

Collection: 
1890

More from Poet

  • Tu sommeilles ; je vois tes yeux sourire encor.
    Ta gorge, ainsi deux beaux ramiers prennent l'essor,
    Se soulève et s'abaisse au gré de ton haleine.
    Tu t'abandonnes, lasse et nue et tout en fleur,
    Et ta chair amoureuse est rose de chaleur.
    Ta main droite sur toi se...

  • J'étais couché dans l'ombre au seuil de la forêt.
    Un talus du chemin désert me séparait.
    J'écoutais s'écouler près de moi, bruit débile,
    Une source qui sort d'une voûte d'argile.
    Par ce beau jour de juin brûlant et vaporeux
    L'horizon retenait des nuages heureux....

  • Ce soir, sur le chemin sonore du coteau,
    Nous menons en rêvant notre amour qui frissonne
    D'une obscure tiédeur sous le même manteau.
    Ô crépuscule amer de novembre ! L'automne
    Est soucieux comme un aïeul qu'on va quitter ;
    Son souffle large et fort sur la terre...

  • Saison fidèle aux coeurs qu'importune la joie,
    Te voilà, chère Automne, encore de retour.
    La feuille quitte l'arbre, éclatante, et tournoie
    Dans les forêts à jour.

    Les aboiements des chiens de chasse au loin déchirent
    L'air inerte où l'on sent l'odeur des champs...

  • Qu'on ouvre la fenêtre au large, qu'on la laisse
    Large ouverte à l'air bleu qui vient avant la nuit !
    Je voudrais, ah ! marcher autour de moi sans bruit,
    Entendre ce que dit l'automne à ma tristesse ;
    Car voici la saison où la sève s'épuise.
    C'est un des derniers...