Suprématie

 
Lorsque les trois grands dieux eurent dans un cachot
Mis les démons, chassé les monstres de là-haut,
Oté sa griffe à l'hydre, au noir dragon son aile,
Et sur ce tas hurlant fermé l'ombre éternelle,
Laissant grincer l'enfer, ce sépulcre vivant,
Ils vinrent tous les trois, Vâyou, le dieu du Vent,
Agni, dieu de la Flamme, Indra, dieu de l'Espace,
S'asseoir sur le zénith, qu'aucun mont ne dépasse,
Et se dirent, ayant dans le ciel radieux
Chacun un astre au front : Nous sommes les seuls dieux !

Tout à coup devant eux surgit dans l'ombre obscure
Une lumière ayant les yeux d'une figure.

Ce que cette lumière était, rien ne saurait
Le dire, et, comme brille au fond d'une forêt
Un long rayon de lune en une route étroite,
Elle resplendissait, se tenant toute droite.
Ainsi se dresse un phare au sommet d'un récif.
C'était un flamboiement immobile, pensif,
Debout.

                   Et les trois dieux s'étonnèrent.
                                                                   Ils dirent :
« Qu'est ceci ? »
                               Tout se tut et les cieux attendirent.
― Dieu Vâyou, dit Agni, dieu Vâyou, dit Indra,
Parle à cette lumière. Elle te répondra.
Crois-tu que tu pourrais savoir ce qu'elle est ?
                                                                 ― Certes,
Dit Vâyou : Je le puis.
                                 Les profondeurs désertes
Songeaient ; tout fuyait ; l'aigle ainsi que l'alcyon.
Alors Vâyou marcha droit à la vision.
― Qu'es-tu ? cria Vâyou, le dieu fort et suprême.
Et l'apparition lui dit : ― Qu'es-tu toi-même ?
Et Vâyou dit : ― Je suis Vâyou, le dieu du Vent.
― Et qu'est-ce que tu peux ?
                                        ― Je peux, en me levant,
Tout déplacer, chasser les flots, courber les chênes,
Arracher tous les gonds, rompre toutes les chaînes,
Et si je le voulais, d'un souffle, moi Vâyou,
Plus aisément qu'au fleuve on ne jette un caillou
Ou que d'une araignée on ne crève les toiles,
J'emporterai la terre à travers les étoiles.
L'apparition prit un brin de paille et dit :
― Emporte ceci.
                           Puis, avant qu'il répondît,
Elle posa devant le dieu le brin de paille.
Alors, avec des yeux d'orage et de bataille,
Le dieu Vâyou se mit à grandir jusqu'au ciel,
Il troua l'effrayant plafond torrentiel,
Il ne fut plus qu'un monstre ayant partout des bouches,
Pâle, il démusela les ouragans farouches
Et mit en liberté l'âpre meute des airs ;
On entendit mugir le simoun des déserts
Et l'aquilon qui peut, par-dessus les épaules
Des montagnes, pousser l'océan jusqu'aux pôles ;
Vâyou, géant des vents, immense, au-dessus d'eux
Plana, gronda, frémit et rugit, et, hideux,
Remua les profonds tonnerres de l'abîme ;
Tout l'univers trembla de la base à la cime
Comme un toit où quelqu'un d'affreux marche à grands pas.
Le brin de paille aux pieds du dieu ne bougea pas.
Le dieu s'en retourna.
                                      ― Dieu du vent, notre frère,
Parle, as-tu pu savoir ce qu'est cette lumière ?
Et Vâyou répondit aux deux autres dieux : ― Non !
― Agni, dit Indra ; frère Agni, mon compagnon,
Dit Vâyou, pourrais-tu le savoir, toi ?
                                                   ― Sans doute,
Dit Agni.
                     Le dieu rouge, Agni, que l'eau redoute,
Et devant qui médite à genoux le Bouddha,
Alla vers la clarté sereine et demanda :
― Qu'es-tu, clarté?
                                   ― Qu'es-tu toi-même ? lui dit-elle.
― Le dieu du Feu.
                            ― Quelle est ta puissance ?
                                                                          ― Elle est telle
Que, si je veux, je puis brûler le ciel noirci,
Les mondes, les soleils, et tout.
                                            ― Brûle ceci,
Dit la clarté, montrant au dieu le brin de paille.
Alors, comme un bélier défonce une muraille,
Agni, frappant du pied, fit jaillir de partout
La flamme formidable, et, fauve, ardent, debout,
Crachant des jets de lave entre ses dents de braise,
Fit sur l'humble fétu crouler une fournaise ;
Un soufflement de forge emplit le firmament ;
Et le jour s'éclipsa dans un vomissement
D'étincelles, mêlé de tant de nuit et d'ombre
Qu'une moitié du ciel resta longtemps sombre ;
Ainsi bout le Vésuve, ainsi flambe l'Hékla ;
Lorsqu'enfin la vapeur énorme s'envola,
Quand le dieu rouge Agni, dont l'incendie est l'âme,
Eut éteint ce tumulte effroyable de flamme
Où grondait on ne sait quel monstrueux soufflet,
Il vit le brin de paille à ses pieds, qui semblait
N'avoir pas même été touché par la fumée.
Le dieu s'en revint.
                              ― Dieu du feu, force enflammée,
Quelle est cette lumière enfin ? Sais-tu son nom ?
Dirent les autres dieux.
   
                                   Agni répondit : Non.
― Indra, dit Vâyou ; frère Indra, dit Agni, sage !
Roi ! dieu ! qui, sans passer, de tout vois le passage.
Peux-tu savoir, ô toi dont rien ne se perdra,
Ce qu'est cette clarté qui nous regarde ?
                                                               Indra
Répondit : ― Oui. ―
                            Toujours droite, la clarté pure
Brillait, et le dieu vint lui parler.
                                                  ― O figure,
Qu'es-tu ? dit Indra, d'ombre et d'étoiles vêtu.
Et l'apparition dit: ― Toi-même, qu'es-tu ?
Indra lui dit : ― Je suis Indra, dieu de l'Espace.
― Et quel est ton pouvoir, dieu ?
                                                  ― Sur sa carapace
La divine tortue, aux yeux toujours ouverts,
Porte l'éléphant blanc qui porte l'univers
Autour de l'univers est l'infini. Ce gouffre
Contient tout ce qui vit, naît, meurt, existe, souffre
Règne, passe ou demeure, au sommet, au milieu,
En haut, en bas, et c'est l'espace, et j'en suis dieu.
Sous moi la vie obscure ouvre tous ses registres ;
Je suis le grand voyant des profondeurs sinistres;
Ni dans les bleus édens, ni dans l'enfer hagard,
Rien ne m'échappe, et rien n'est hors de mon regard ;
Si quelque être pour moi cessait d'être visible,
C'est lui qui serait dieu, pas nous ; c'est impossible.
Étant l'énormité, je vois l'immensité ;
Je vois toute la nuit et toute la clarté ;
Je vois le dernier lieu, je vois le dernier nombre,
Et ma prunelle atteint l'extrémité de l'ombre ;
Je suis le regardeur infini. Dans ma main
J'ai tout, le temps, l'esprit, hier, aujourd'hui, demain.
Je vois les trous de taupe et les gouffres d'aurore,
Tout ! et, là même où rien n'est plus, je vois encore.
Depuis l'azur sans borne où les cieux sur les cieux
Tournent comme un rouage aux flamboyants essieux,
Jusqu'au néant des morts auquel le ver travaille,
Je sais tout ! je vois tout !
                                           ― Vois-tu ce brin de paille ?
Dit l'étrange clarté d'où sortait une voix.
Indra baissa la tête et cria : ― Je le vois.
Lumière, je te dis que j'embrasse tout l'être ;
Toi-même, entends-tu bien, tu ne peux disparaître
De mon regard, jamais éclipsé ni décru !
À peine eut-il parlé qu'elle avait disparu.

Collection: 
1822

More from Poet

  • Mivel ajkamhoz ért színültig teli kelyhed, és sápadt homlokom kezedben nyughatott, mivel beszívtam én nem egyszer drága lelked lehelletét, e mély homályú illatot, mivel titokzatos szived nekem kitárult, s olykor megadatott beszédét hallanom, mivel ott zokogott, mivel mosolyra lágyult szemed...

  • A lába csupaszon, a haja szétziláltan, kákasátorban ült, térdéig meztelen; azt hittem hirtelen, hogy tündérre találtam, s szóltam: A rétre, mondd, eljönnél-e velem? Szeméből rámsütött az a parázs tekintet, amely, ha enged is, szép és győztes marad, s szóltam: A szerelem hónapja hív ma minket,...

  • Olyan a szerelem, mint a gyöngyszemű harmat, amelytől fénylik a szirom, amelyből felszökik, kévéjében a napnak, szivárvány-szikra, miliom. Ne, ne hajolj reá, bárhogy vonz e merész láng, ez a vízcseppbe zárt, percnyi kis fényözön - mi távolabbról: mint a gyémánt, az közelebbről: mint a könny.

  • Pourquoi donc s'en est-il allé, le doux amour ?
    Ils viennent un moment nous faire un peu de jour,
    Puis partent. Ces enfants, que nous croyons les nôtres,
    Sont à quelqu'un qui n'est pas nous. Mais les deux autres,
    Tu ne les vois donc pas, vieillard ? Oui, je les vois,...

  • Puisque nos heures sont remplies
    De trouble et de calamités ;
    Puisque les choses que tu lies
    Se détachent de tous côtés ;

    Puisque nos pères et nos mères
    Sont allés où nous irons tous,
    Puisque des enfants, têtes chères,
    Se sont endormis avant nous ;...