Sonnets du Liban

I. Set Ohaëdat[]

 
Je vous fus présenté Madame, dans la salle
De marbre frais et sombre où vous passiez les jours
Au bruit de ces jets d’eau monotones des cours
Damasquinés ; l’or blanc cerclait votre bras pâle.

Assise à terre, à la manière orientale,
Vous écoutiez ceux qui distillent les discours
Des les narghilés d’argent aux tons d’opale
Que la Paresse fume à coups distraits et courts.

Des fleurs couraient parmi vos étoffes de soie ;
Vos yeux éclairaient l’ombre où votre front se noie ;
Votre pied nu brillait ; votre accent étranger

Eclatait dans ma tête en notes délicates ;
Je vois toujours vos dents blanches, fines et plates
Quand votre lèvre, mouche en rumeur, fit : « Franger ? »

II. Khatoum[]

 
Oh ! peindre tes cheveux du bleu de la fumée,
Ta peau dorée et d’un ton tel qu’on croit y voir presque
Une rose brûlée ! et ta chair embaumée,
Dans les grands linges d’ange, ainsi qu’en une fresque,

Qui font plus brun ton corps gras et fin de mauresque,
Qui fait plus blanc ton linge et ses neiges d’almée,
Ton front, tes yeux, ton nez et ta lèvre pâmée
Toute rouge, et tes cils de femme barbaresque !

Te peindre en ton divan et tenant ton chibouk,
Parmi tes tapis turcs, près du profil de bouc
De ton esclave aux yeux voluptueux, et qui,

Chargé de t’acheter le musc et le santal,
Met sur un meuble bas ta carafe en cristal
Où se trouble le flot brumeux de l’araki.

III. Musulmanes[]

À Camille de Sainte-Croix.

 
Vous cachez vos cheveux, la toison impudique,
Vous cachez vos sourcils, ces moustaches des yeux,
Et vous cachez vos yeux, ces globes soucieux,
Miroirs plein d’ombre où reste une image sadique ;
 
L’oreille ourlée ainsi qu’un gouffre, la mimique
Des lèvres, leur blessure écarlate, les creux
De la joue, et la langue au bout rose et joyeux,
Vous les cachez, et vous cachez le nez unique !
 
Votre voile vous garde ainsi qu’une maison
Et la maison vous garde ainsi qu’une prison ;
Je vous comprends : l’Amour aime une immense scène.
 
Frère, n’est-ce pas là la femme que tu veux :
Complètement pudique, absolument obscène,
Des racines des pieds aux pointes des cheveux ?

IV. Smala[]

 
Le soleil verse aux toits des chambres mal fermées
          Ses urnes enflammées ;
En attendant le kief, toutes sont là, pâmées,
Sur les divans brodés de chimères armées ;

Annès, Nazlès, Assims, Bourbaras, Zalimées,
En lin blanc, la prunelle et la joue allumées
          Par le fard, parfumées,
Tirant des narghilés de légères fumées,

          Ou buvant, ranimées,
Les ongles teints, les doigts illustrés de camées,
Dans les dés d’argent fin des liqueurs renommées.

Sur les coussins vêtus d’étoffes imprimées,
          Dans des poses d’almées,
Voluptueusement fument les bien-aimées.

 
Je vous fus présenté Madame, dans la salle
De marbre frais et sombre où vous passiez les jours
Au bruit de ces jets d’eau monotones des cours
Damasquinés ; l’or blanc cerclait votre bras pâle.

Assise à terre, à la manière orientale,
Vous écoutiez ceux qui distillent les discours
Des les narghilés d’argent aux tons d’opale
Que la Paresse fume à coups distraits et courts.

Des fleurs couraient parmi vos étoffes de soie ;
Vos yeux éclairaient l’ombre où votre front se noie ;
Votre pied nu brillait ; votre accent étranger

Eclatait dans ma tête en notes délicates ;
Je vois toujours vos dents blanches, fines et plates
Quand votre lèvre, mouche en rumeur, fit : « Franger ? »

 
Oh ! peindre tes cheveux du bleu de la fumée,
Ta peau dorée et d’un ton tel qu’on croit y voir presque
Une rose brûlée ! et ta chair embaumée,
Dans les grands linges d’ange, ainsi qu’en une fresque,

Qui font plus brun ton corps gras et fin de mauresque,
Qui fait plus blanc ton linge et ses neiges d’almée,
Ton front, tes yeux, ton nez et ta lèvre pâmée
Toute rouge, et tes cils de femme barbaresque !

Te peindre en ton divan et tenant ton chibouk,
Parmi tes tapis turcs, près du profil de bouc
De ton esclave aux yeux voluptueux, et qui,

Chargé de t’acheter le musc et le santal,
Met sur un meuble bas ta carafe en cristal
Où se trouble le flot brumeux de l’araki.

 
Vous cachez vos cheveux, la toison impudique,
Vous cachez vos sourcils, ces moustaches des yeux,
Et vous cachez vos yeux, ces globes soucieux,
Miroirs plein d’ombre où reste une image sadique ;
 
L’oreille ourlée ainsi qu’un gouffre, la mimique
Des lèvres, leur blessure écarlate, les creux
De la joue, et la langue au bout rose et joyeux,
Vous les cachez, et vous cachez le nez unique !
 
Votre voile vous garde ainsi qu’une maison
Et la maison vous garde ainsi qu’une prison ;
Je vous comprends : l’Amour aime une immense scène.
 
Frère, n’est-ce pas là la femme que tu veux :
Complètement pudique, absolument obscène,
Des racines des pieds aux pointes des cheveux ?

 
Le soleil verse aux toits des chambres mal fermées
          Ses urnes enflammées ;
En attendant le kief, toutes sont là, pâmées,
Sur les divans brodés de chimères armées ;

Annès, Nazlès, Assims, Bourbaras, Zalimées,
En lin blanc, la prunelle et la joue allumées
          Par le fard, parfumées,
Tirant des narghilés de légères fumées,

          Ou buvant, ranimées,
Les ongles teints, les doigts illustrés de camées,
Dans les dés d’argent fin des liqueurs renommées.

Sur les coussins vêtus d’étoffes imprimées,
          Dans des poses d’almées,
Voluptueusement fument les bien-aimées.

Collection: 
1871

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