• Depuis le jour antique où germa sa semence,
    Cette forêt sans fin, aux feuillages houleux,
    S'enfonce puissamment dans les horizons bleus
    Comme une sombre mer qu'enfle un soupir immense.

    Sur le sol convulsif l'homme n'était pas né
    Qu'elle emplissait déjà, mille fois séculaire,
    De son ombre, de son repos, de sa colère,
    Un large pan du globe encore...

  • (Études latines, VI)

    En mes coupes d'un prix modique
    Veux-tu tenter mon humble vin ?
    Je l'ai scellé dans l'urne Attique
    Au sortir du pressoir Sabin.
    Il est un peu rude et moderne ;
    Cécube, Calès ni Falerne
    Ne mûrissent dans mon cellier ;
    Mais les Muses me sont amies,
    Et les Muses font oublier
    Ta vigne dorée, ô Formies !

  • Comme le flot des mers ondulant vers les plages,
    Ô bois, vous déroulez, pleins d'arome et de nids,
    Dans l'air splendide et bleu, vos houles de feuillages ;
    Vous êtes toujours vieux et toujours rajeunis.

    Le temps a respecté, rois aux longues années,
    Vos grands fronts couronnés de lianes d'argent ;
    Nul pied ne foulera vos feuilles non fanées :
    Vous...

  • Sur la montagne aux sombres gorges
    Où nul vivant ne pénétra,
    Dans les antres de Lipara
    Hèphaistos allume ses forges.

    Il lève, l'illustre Ouvrier,
    Ses bras dans la rouge fumée,
    Et bat sur l'enclume enflammée
    Le fer souple et le dur acier.

    Les tridents, les dards, les épées,
    Sortent en foule de sa main ;
    Il forge des lances d'...

  • Je pâlis et tombe en langueur :
    Deux beaux yeux m'ont blessé le coeur.

    Rose pourprée et tout humide,
    Ce n'était pas sa lèvre en feu ;
    C'étaient ses yeux d'un si beau bleu
    Sous l'or de sa tresse fluide.

    Je pâlis et tombe en langueur :
    Deux beaux yeux m'ont blessé le coeur.

    Toute mon âme fut ravie !
    Doux étaient son rire et sa voix...

  • Tandis qu'enveloppé des ténèbres premières,
    Brahma cherchait en soi l'origine et la fin,
    La Mâyâ le couvrit de son réseau divin,
    Et son coeur sombre et froid se fondit en lumières.

    Aux pics du Kaîlaça, d'où l'eau vive et le miel
    Filtrent des verts figuiers et des rouges érables,
    D'où le saint Fleuve verse en courbes immuables
    Ses cascades de neige...

  • La lune sous la nue errait en mornes flammes,
    Et la tour de Komor, du Jarle de Kemper,
    Droite et ferme, montait dans l'écume des lames.

    Sous le fouet redoublé des rafales d'hiver
    La tour du vieux Komor dressait sa masse haute,
    Telle qu'un cormoran qui regarde la mer.

    Un grondement immense enveloppait la côte.
    Sur les flots palpitaient, blêmes...

  • (Études latines, X)

    Offre un encens modeste aux Lares familiers,
    Phidylé, fruits récents, bandelettes fleuries ;
    Et tu verras ployer tes riches espaliers
    Sous le faix des grappes mûries.

    Laisse, aux pentes d'Algide, au vert pays Albain,
    La brebis, qui promet une toison prochaine,
    Paître cytise et thym sous l'yeuse et le chêne ;
    Ne rougis...

  • Comme petits enfants d'une larve outrageuse,
    D'un fantôme, ou d'un masque, ainsi nous avons peur,
    Et redoutons ta mort, la concevant au coeur
    Telle comme on la fait, hâve, triste, et affreuse :

    Comme il plaît à la main ou loyale, ou trompeuse
    Du graveur, du tailleur, ou du peintre flatteur
    La nous représenter sur un tableau menteur,
    Nous l'...

  • Le temps ne bouge point et jamais ne repose,
    La vie instable fuit et ne chemine pas,
    Fortune escrime et bat sans remuer les bras,
    Le monde nous dépêche et n'en savons la cause.

    L'ami avec l'ami se trompe à lèvre close,
    La chair sans le sentir consomme nos ébats,
    Languissant sans secours le coeur chet au trépas,
    Et la nuit à nos yeux effroyable s'...