• Les petits ifs du cimetière
    Frémissent au vent hiémal,
    Dans la glaciale lumière.

    Avec des bruits sourds qui font mal,
    Les croix de bois des tombes neuves
    Vibrent sur un ton anormal.

    Silencieux comme des fleuves,
    Mais gros de pleurs comme eux de flots,
    Les fils, les mères et les veuves

    Par les détours du triste enclos
    S’écoulent, —...

  • J’ai traversé deux fois le pays de Rembrandt,
    Pays de matelots — qui flotte et qui navigue, —
    Où le fier Océan gémit contre la digue,
    Où le Rhin dispersé n’est plus même un torrent.

    La prairie est touffue et l’horizon est grand ;
    Le Créateur ici fut comme ailleurs prodigue…
    — Le lointain uniforme à la fois nous fatigue,
    Mais toujours ce pays m’attire...

  • Comme un poison subtil redoutons la pensée.
    Moi, si j’avais vingt fils, ils auraient vingt chevaux
    Qui, sous les grands soleils ou la bise glacée,

    Les emportant joyeux, et par monts et par vaux,
    Devanceraient la flèche et l’oiseau dans leurs courses :
    Ils n’entendraient jamais parler de leurs cerveaux ;

    La matière partout leur créerait des ressources,...

  • Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie,
    Pour l’or de tes cheveux chauffe un bain langoureux,
    Et, consumant l’encens sur ta joue ennemie,
    Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.

    De ce blanc Flamboiement l’immuable accalmie
    T’a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux,
    « Nous ne serons jamais une seule momie
    Sous l’antique désert et les...

  • Un fou disait : Venez, ce soir
    Le vent souffle, le ciel est noir…
    Dieu, dans sa grandeur, est sans voiles.
    Aux sons du fifre de l’hiver
    Et des flots sonnants de la mer,
    Venez voir danser les étoiles.

    J’ai l’âme d’or, le cœur d’argent,
    Mais l’habit d’un homme indigent.
    Hélas ! je n’ai plus de toilettes !
    Quel gouvernail que votre nez !...

  • Le printemps maladif a chassé tristement
    L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
    Et dans mon être à qui le sang morne préside
    L’impuissance s’étire en un long bâillement.

    Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
    Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau,
    Et, triste, j’erre après un Rêve vague et beau,
    Par les champs où la...

  • Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
    En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser
    Dans tes cheveux impurs une triste tempête
    Sous l’incurable ennui que verse mon baiser.
     
    Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
    Planant sous les rideaux inconnus du remords,
    Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
    Toi qui sur le...

  • L’âpre hiver se dissipe aux souffles printaniers,
    La barque oisive au flot se livre ;
    L’étable et l’âtre, enfin, lâchent leurs prisonniers
    Et le pré n’est plus blanc de givre.
    Sous la lune, déjà,...

  • Quand j’ai gagné tous ces volumes,
    J’étais encor petit garçon ;
    Mais j’usais très-vite mes plumes
    Et j’apprenais bien ma leçon.

    Maintenant que mon front grisonne,
    Je ressuscite et je souris,
    Fils bien aimé, quand je te donne
    Mon trésor d’enfant, mes vieux prix.

    Ah ! bientôt tu sauras les lire !
    Bientôt tu comprendras, Victor,
    ...

  • Ami, l’enjambement te répugne, et tu veux
    Que Sara la baigneuse attache ses cheveux
    Et rentre dans les fils d’un hamac plus avare
    Son petit pied pleuré des mines de Carrare.
    Te voilà désolé si la liberté veut
    Qu’un mot sorte du vers. Jamais ton vers ne peut,
    Comme un chasseur heureux d’un hibou qu’il rapporte,
    Clouer joyeusement une idée à sa porte....