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    Une fois, terrassé par un puissant breuvage,
    J’ai rêvé que parmi les vagues et le bruit
    De la mer je voguais sans fanal dans la nuit,
    Morne rameur, n’ayant plus l’espoir du rivage.

    L’Océan me crachait ses baves sur le front
    Et le vent me glaçait d’horreur jusqu’aux entrailles ;
    Les lames s’écroulaient ainsi que des murailles,
    Avec ce rythme...

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    I

    Dès que son fiancé fut parti pour la guerre,
    Sans larmes dans les yeux ni désespoir vulgaire,
    Irène de Grandfief, la noble et pure enfant,
    Revêtit les habits qu’elle avait au couvent :
    La robe noire avec l’étroite pèlerine
    Et la petite croix d’argent sur la poitrine.
    Elle ôta ses bijoux, ferma son piano,
    Et gardant seulement à son...

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    Longuement poursuivi par le spleen détesté,
    Quand je vais dans les champs, par les beaux soirs d’été,
    Au grand air rafraîchir mes tempes,
    Je ris de voir, le long des bois, les fiancés
    Cheminer lentement, deux par deux, enlacés
    ...

  • S’il est vrai que ce monde est pour l’homme un exil
    Où, ployant sous le faix du labeur dur & vil,
    Il expie en pleurant sa vie antérieure ;
    S’il est vrai que, dans une existence meilleure,
    Parmi les astres d’or qui roulent dans l’azur,
    Il a vécu, formé d’un élément plus pur,
    Et qu’il garde un regret de sa splendeur première ;
    Tu dois venir, enfant...

  • À Jocelyn Bargoin.

    En mai, par une pure et chaude après-midi,
    Je cheminais au bord d doux fleuve attiédi
    Où se réfléchissait la fuite d’un nuage.
    Je suivais lentement le chemin de halage
    Tout en fleurs, qui descend en pente vers les eaux.
    Des peupliers à droite, à gauche des roseaux ;
    Devant moi, les détours de la...

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    Monsieur Vincent de Paule, aumônier des galères,
    Vieux prêtre humble de cœur et de mœurs populaires,
    Quand il vient à Paris, demeure à l’hôpital
    Du couvent qu’a fondé Madame de Chantal.
    Sa chambre n’a qu’un lit et deux chaises de paille,
    Et l’unique tableau pendu sur la muraille
    Représente la Vierge avec l’enfant Jésus.
    Tout entier aux projets...

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    À Paul Verlaine.

    Sur un fond d’or pâli, les saints rouges et bleus
    Qu’un plomb noir délimite en dessins anguleux,
    Croisant les bras, levant au ciel un œil étrange :
    Marc, brun, près du lion ; Mathieu, roux, près de l’ange
    Et Jean, tout rose, avec l’oiseau des empereurs ;
    Luc, et son bœuf, qui fait songer aux laboureurs
    Dont le Messie...

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    L’Éden resplendissait dans sa beauté première.

    Ève, les yeux fermés encore à la lumière,
    Venait d’être créée, et reposait, parmi
    L’herbe en fleur, avec l’homme auprès d’elle endormi ;
    Et, pour le mal futur qu’en enfer le Rebelle
    Méditait, elle était merveilleusement belle.
    Son visage très pur, dans ses cheveux noyé,
    S’appuyait mollement sur...

  • Bon Suisse expatrié, la tristesse te gagne,
    Loin de ton Alpe blanche aux éternels hivers ;
    Et tu songes alors aux prés de fleurs couverts,
    A la corne du pâtre, au loin, dans la montagne.

    Lassé parfois, je fuis la ville comme un bagne,
    Et son ciel fin, miré dans la Seine aux flots verts.
    Mais c'est là que mes yeux d'enfant se sont ouverts,
    Et le mal du...

  • Prisonnier d'un bureau, je connais le plaisir
    De goûter, tous les soirs, un moment de loisir.
    Je rentre lentement chez moi, je me délasse
    Aux cris des écoliers qui sortent de la classe ;
    Je traverse un jardin, où j'écoute, en marchant,
    Les adieux que les nids font au soleil couchant,
    Bruit pareil à celui d'une immense friture.
    Content comme un enfant qu'on...