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    La fatigue nous désenlace.
    Reste ainsi, mignonne. Je veux
    Voir reposer ta tête lasse
    Sur l’or épais de tes cheveux.

    Tais-toi. Ce que tu pourrais dire
    Sur le bonheur que tu ressens
    Jamais ne vaudrait ce sourire
    Chargé d’aveux reconnaissants.

    Sous tes paupières abaissées
    Cherche plutôt à retenir,
    Pour en parfumer tes pensées...

  • Obsédé par ces mots, le veuvage et l’automne,
    Mon rêve n’en veut pas d’autres pour exprimer
    Cette mélancolie immense et monotone
    Qui m’ôte tout espoir et tout désir d’aimer.

    Il évoque sans cesse une très-longue allée
    De platanes géants dépouillés à demi,
    Dans laquelle une femme en grand deuil et voilée
    S’avance lentement sur le gazon blêmi.

    ...

  • J’ai dit au ramier : « Pars ! et va quand même,
    Au delà des champs d’avoine et de foin,
    Me chercher la fleur qui fera qu’on m’aime.
           Le ramier m’a dit : « C’est trop loin ! »
     
    Et j’ai dit à l’aigle : « Aide-moi, j’y compte,
    Et, si c’est le feu du ciel qu’il me faut,
    Pour l’aller ravir prends ton vol et monte. »
           Et l’aigle m’a dit...

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    En ce temps-là, Jésus, seul avec Pierre, errait
    Sur la rive du lac, près de Génésareth,
    À l’heure où le brûlant soleil de midi plane,
    Quand ils virent, devant une pauvre cabane,
    La veuve d’un pêcheur, en longs voiles de deuil,
    Qui s’était tristement assise sur le seuil,
    Retenant dans ses yeux la larme qui les mouille,
    Pour bercer son enfant et...

  • À Alexis Orsat.

    I

    Quand ils vinrent louer deux chambres au cinquième,
    Le portier, d’un coup d’œil plein d’un mépris suprême,
    Comprit tout et conclut : – C’est des petites gens.
    Le garçonnet, avec ses yeux intelligents,
    Était gai d’être en deuil, car sa veste était neuve.
    Vieille à trente ans, sa mère, une timide...

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    C’était en Thermidor, à la Conciergerie.

    Ils étaient là deux cents, parqués pour la tuerie,
    Pêle-mêle, arpentant le sinistre préau.
    La Terreur redoublait. Derniers coups du fléau
    Sur les épis ! Derniers éclairs de la tempête !
    Sur Paris consterné, le sanglant coupe-tête
    Fonctionnait sans trêve. Ils étaient là deux cents,

    Condamnés ou du moins...

  • Dans le salon bourgeois où je l’ai rencontrée,
    Ses yeux doux et craintifs, son front d’ange proscrit,
    M’attirèrent d’abord vers elle, et l’on m’apprit
    Que d’un mari brutal elle était séparée.

    Elle venait encor chez ces anciens amis,
    Dont la maison avait vu grandir son enfance
    Et qui, malgré le bruit dont le monde s’offense,
    Au préjugé cruel ne s’...

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    UN soir de mai, trouvant que vivre est un ennui,
    Sûr du spleen de demain par le spleen d’aujourd’hui,
    J’allais, le front courbé, les yeux fixés en terre,
    Sur le calme trottoir d’un faubourg solitaire,
    Sans voir s’ouvrir au ciel les étoiles en fleur,
    Quand soudain un placard de sanglante couleur,
    Auquel un bec de gaz jetait son rayon...

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    C’est une vieille fille en cheveux blancs ; elle est
    Pâle et maigre ; un antique et grossier chapelet
    S’égrène, machinal, sous ses doigts à mitaines.
    Sans cesse remuant ses lèvres puritaines
    D’où tombent les Pater noster et les Ave,
    Et laissant son tricot de laine inachevé,
    Droite, elle prie, assise au coin d’un feu de veuve,
    Dans...

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    DON JUAN n’est pas mort. Aucun gouffre
    N’absorba le grand Curieux.
    L’antique enfer n’a plus de soufre.
    Don Juan vit. Don Juan s’est fait vieux.

    Très longtemps, fidèle à son rôle,
    Il a bravé toute pudeur,
    Sans que tombât sur son épaule
    La lourde main du Commandeur.

    Les morts ne dînent pas en ville,
    Et...