• O poète trop prompt à te laisser charmer,
    Si cette douce enfant devait t'être ravie,
    Et si ce coeur en qui tout le tien se confie
    Ne pouvait pas pour toi frémir et s'animer ?

    N'importe ! ses yeux seuls ont su faire germer
    Dans mon âme si lasse et de tout assouvie
    L'amour qui rajeunit, console et purifie,
    Et je devrais encor la bénir et l'aimer.
    ...

  • Dans les jardins d'hiver des fleuristes bizarres
    Sèment furtivement des végétaux haineux,
    Dont les tiges bientôt grouillent comme les noeuds
    Des serpents assoupis aux bords boueux des mares.

    Leurs redoutables fleurs, magnifiques et rares,
    Où coulent de très lourds parfums vertigineux,
    Ouvrent avec orgueil leurs vases vénéneux.
    La mort s'épanouit...

  • L'énorme capitale est un fruit douloureux.
    Son écorce effondrée et ses pulpes trop mûres
    Teignent opulemment leurs riches pourritures
    D'ors verts, de violets, et de roux phosphoreux.

    Lâchant un jus épais, douceâtre et cancéreux,
    Ses spongieuses chairs fondent sous les morsures,
    Et ses poisons pensifs font germer les luxures
    Et les péchés malsains...

  • Voici qu'à l'horizon coule un fleuve de sang.
    De sa pourpre lugubre et splendide il inonde,
    Sous les cieux consternés, l'orbe muet du monde,
    Où l'horreur d'un grand meurtre invisible descend.

    Ainsi qu'au lendemain des épiques désastres
    Pour les princes vaincus on drape l'échafaud,
    La Nuit, sur le zénith, debout comme un héraut,
    Étend l'obscurité...

  • L'ombre s'évapore,
    Et déjà l'aurore
    De ses rayons dore
    Les toits d'alentour ;
    Les lampes pâlissent,
    Les maisons blanchissent,
    Les marchés s'emplissent
    On a vu le jour.

    De la Villette,
    Dans sa charrette,
    Suzon brouette
    Ses fleurs sur le quai,
    Et de Vincenne
    Gros Pierre amène
    Ses fruits que traîne
    Un âne...

  • En tous lieux, la foule
    Par torrents s'écoule ;
    L'un court, l'autre roule ;
    Le jour baisse et fuit ;
    Les affaires cessent,
    Les dîners se pressent,
    Les tables se dressent,
    Il est bientôt nuit.

    Là, je devine
    Poularde fine
    Et bécassine
    Et dindon truffé ;
    Plus loin, je hume
    Salé, légume,
    Cuits dans l'écume
    D'un boeuf...

  • ou
    Le portrait manqué


    Jaloux de donner à ma belle
    Un duplicata de mes traits,
    Je demande quel est l'Apelle
    Le plus connu par ses portraits.
    C'est, me répond l'ami Dorlange,
    Un artiste nommé Mathieu.
    Il prend fort peu...
    Mais, ventrebleu !
    Quel coloris, quelle grâce, quel feu !
    Il vous attrape comme un ange ;
    Et...

  • Vive, vive le dimanche !
    Vieil enfant du Carnaval
    De la gaieté la plus franche
    Ce beau jour donne le signal.

    Jeunes et vieux de leur demeure
    S'empressent de déloger,
    Et le même instant sonne l'heure
    De la messe et du berger.

    Vive, vive le dimanche !
    Vieil enfant du Carnaval,
    De la gaieté la plus franche
    Ce beau jour donne...

  • Quelquefois, après des ébats polis,
    J'agitai si bien, sur la couche en déroute,
    Le crincrin de la blague et le sistre du doute
    Que les bras t'en tombaient du lit.

    Après ça, tu marchais, tu marchais quand même ;
    Et ces airs, hélas, de doux chien battu,
    C'est à vous dégoûter d'être tendre, vois-tu,
    De taper sur les gens qu'on aime.

  • L'hiver bat la vitre et le toit.
    Il fait bon dans la chambre,
    A part cette sale odeur d'ambre
    Et de plaisir. Mais toi,

    Les roses naissent sur ta face
    Quand tu ris près du feu...
    Ce soir tu me diras adieu,
    Ombre, que l'ombre efface.