• Nos yeux se sont croisés et nous nous sommes plu.
    Née au siècle où je vis et passant où je passe,
    Dans le double infini du temps et de l'espace
    Tu ne me cherchais point, tu ne m'as point élu ;

    Moi, pour te joindre ici le jour qu'il a fallu,
    Dans le monde éternel je n'avais point ta trace,
    J'ignorais ta naissance et le lieu de ta race :
    Le sort a donc...

  • Femme, cette colombe au col rose et mouvant,
    Que ta bouche entr'ouverte baise,
    Ne l'avait pas sentie humecter si souvent
    Son bec léger qui vibre d'aise.

    Elle n'avait jamais reçu de toi tout bas
    Les noms émus que tu lui donnes,
    Ni jamais de tes doigts, à l'heure des repas,
    Vu pleuvoir des graines si bonnes.

    Elle n'avait jamais senti ton coeur...

  • Dans un antique vase en Grèce découvert,
    D'une tombe exhumé, fait d'une argile pure
    Et dont le col est svelte, exquise la courbure,
    Trempe cette jacinthe, emblème aux yeux offert.

    Un essor y tressaille, et le bulbe entr'ouvert
    Déchire le satin de sa fine pelure ;
    La racine s'épand comme une chevelure,
    Et la sève a déjà doré le bourgeon vert....

  • Si j'ose comparer le déclin de ma vie
    A ton coucher sublime, ô Soleil ! je t'envie.
    Ta gloire peut sombrer, le retour en est sûr :
    Elle renaît immense avec l'immense azur.
    De ton sanglant linceul tout le ciel se colore,
    Et le regard funèbre où luit ton dernier feu,
    Ce regard sombre et doux, dont tu couves encore
    Le lys que ta ferveur a fait naguère...

  • Au temps où les plaines sont vertes,
    Où le ciel dore les chemins,
    Où la grâce des fleurs ouvertes
    Tente les lèvres et les mains,

    Au mois de mai, sur sa fenêtre,
    Un jeune homme avait un rosier ;
    Il y laissait les roses naître
    Sans les voir ni s'en soucier ;

    Et les femmes qui d'aventure
    Passaient près du bel arbrisseau,
    En se jouant,...

  • La pudeur n'a pas de clémence,
    Nul aveu ne reste impuni,
    Et c'est par le premier nenni
    Que l'ère des douleurs commence.

    De ta bouche où ton coeur s'élance
    Que l'aveu reste donc banni !
    Le coeur peut offrir l'infini
    Dans la profondeur du silence.

    Baise sa main sans la presser
    Comme un lis facile à blesser,
    Qui tremble à la...

  • J'ai vu, tels que des morts réveillés par le glas,
    Les moines, lampe en main, se ranger en silence,
    Puis pousser, comme un vol de corbeaux qui s'élance,
    Leurs noirs miserere qui plaisent au coeur las.

    Le néant dans le cloître a sonné sous mes pas ;
    J'ai connu la cellule, où le calme commence,
    D'où le monde nous semble une mêlée immense
    Dont le vain...

  • Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange ! ),
    Je voudrais avant toi m'éveiller le matin
    Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange,
    Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.

    J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine,
    Et, patient, rempli d'un silence joyeux,
    J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine,
    Pour y glisser mes...

  • Ah ! Si vous saviez comme on pleure
    De vivre seul et sans foyers,
    Quelquefois devant ma demeure
    Vous passeriez.

    Si vous saviez ce que fait naître
    Dans l'âme triste un pur regard,
    Vous regarderiez ma fenêtre
    Comme au hasard.

    Si vous saviez quel baume apporte
    Au coeur la présence d'un coeur,
    Vous vous assoiriez sous ma porte
    ...

  • C'était une amitié simple et pourtant secrète :
    J'avais sur sa parure un fraternel pouvoir,
    Et quand au seuil d'un bal nous nous trouvions le soir,
    J'aimais à l'arrêter devant moi tout prête.

    Elle abattait sa jupe en renversant la tête,
    Et consultait mes yeux comme un dernier miroir,
    Puis elle me glissait un furtif : "Au revoir !"
    Et belle, en...