• Je possède, en mes doigts subtils, le sens du monde,
    Car le toucher pénètre ainsi que fait la voix,
    L'harmonie et le songe et la douleur profonde
    Frémissent longuement sur le bout de mes doigts.

    Je comprends mieux, en les frôlant, les choses belles,
    Je partage leur vie intense en les touchant,
    C'est alors que je sais ce qu'elles ont en elles
    De...

  • Ô Sommeil, ô Mort tiède, ô musique muette !
    Ton visage s'incline éternellement las,
    Et le songe fleurit à l'ombre de tes pas,
    Ainsi qu'une nocturne et sombre violette.

    Les parfums affaiblis et les astres décrus
    Revivent dans tes mains aux pâles transparences
    Évocateur d'espoirs et vainqueur de souffrances
    Qui nous rends la beauté des êtres disparus...

  • Le soir, ouvrant au vent ses ailes de phalène,
    Évoque un souvenir fragilement rosé,
    Le souvenir, touchant comme un Saxe brisé,
    De ta naïveté fraîche de porcelaine.

    Notre chambre d'hier, où meurt la marjolaine,
    N'aura plus ton regard plein de ciel ardoisé,
    Ni ton étonnement puéril et rusé...
    Ô frissons de ta nuque où brûlait mon haleine !
    ...

  • Le soir était plus doux que l'ombre d'une fleur.
    J'entrai dans l'ombre ainsi qu'en un parfait asile.
    La voix, récompensant mon attente docile,
    Me chuchota: "Vois le palais de la douleur".

    Mes yeux las s'enchantaient du violet, couleur
    Unique car le noir dominait. Immobile
    La douleur demeurait assise, très tranquille.
    J'admirais l'unité de sa grande...

  • Le jour ne perce plus de flèches arrogantes
    Les bois émerveillés de la beauté des nuits,
    Et c'est l'heure troublée où dansent les Bacchantes
    Parmi l'accablement des rythmes alanguis.

    Leurs cheveux emmêlés pleurent le sang des vignes,
    Leurs pieds vifs sont légers comme l'aile des vents,
    Et la rose des chairs, la souplesse des lignes
    Ont peuplé la...

  • À Madame L.D. M...

    Le soir s'est refermé, telle une sombre porte,
    Sur mes ravissements, sur mes élans d'hier...
    Je t'évoque, ô splendide ! ô fille de la mer !
    Et je viens te pleurer comme on pleure une morte.

    L'air des bleus horizons ne gonfle plus tes seins,
    Et tes doigts sans vigueur ont fléchi sous les bagues.
    N'as-tu point chevauché sur la...

  • Au dedans, le silence et la paix sont profonds ;
    De froides pesanteurs descendent des plafonds,
    Et, miroirs blanchissants, des parois colossales
    Cernent de marbre nu l'isolement des salles.
    De loin en loin, et dans les dalles enchâssé,
    Un bassin de porphyre au rebord verglacé
    Courbe sa profondeur polie, où l'onde gèle ;
    Le froid durcissement a poussé...

  • Allez, vieilles amours, chimères,
    Caresses qui m'avez meurtri,
    Tourments heureux, douceurs amères,
    Abandonnez ce coeur flétri !

    Sous l'azur sombre, à tire-d'ailes,
    Dans l'espoir d'un gîte meilleur,
    Fuyez, plaintives hirondelles,
    Le nid désormais sans chaleur !

    Tout s'éteint, grâce aux jours moroses,
    Dans un tiède et terne unisson.
    ...

  • Être homme ? tu le peux. Va-t'en, guêtré de cuir,
    L'arme au poing, sur les pics, dans la haute bourrasque,
    Et suis le libre isard aussi loin qu'il peut fuir !

    Fais-toi soldat ; le front s'assainit sous le casque.
    Jeûnant pour avoir faim et peinant pour dormir,
    Sois un contrebandier dans la montagne basque !

    Mais, dans nos vils séjours, ne t'attends...

  • cueillie au printemps


    Une rose d'un mois d'avril
    Sous une étoile qui regarde
    Éveilla, malice ou mégarde,
    Mon désir pas encor viril.

    C'est ta bouche au rose grésil
    Qui fut pour ton page, Hildegarde,
    Une rose d'un mois d'avril
    Sous une étoile qui regarde.

    J'ai connu les deuils, le péril,
    Depuis, et l'angoisse hagarde !...