• J'ai vu, tels que des morts réveillés par le glas,
    Les moines, lampe en main, se ranger en silence,
    Puis pousser, comme un vol de corbeaux qui s'élance,
    Leurs noirs miserere qui plaisent au coeur las.

    Le néant dans le cloître a sonné sous mes pas ;
    J'ai connu la cellule, où le calme commence,
    D'où le monde nous semble une mêlée immense
    Dont le vain...

  • Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange ! ),
    Je voudrais avant toi m'éveiller le matin
    Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange,
    Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.

    J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine,
    Et, patient, rempli d'un silence joyeux,
    J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine,
    Pour y glisser mes...

  • Ah ! Si vous saviez comme on pleure
    De vivre seul et sans foyers,
    Quelquefois devant ma demeure
    Vous passeriez.

    Si vous saviez ce que fait naître
    Dans l'âme triste un pur regard,
    Vous regarderiez ma fenêtre
    Comme au hasard.

    Si vous saviez quel baume apporte
    Au coeur la présence d'un coeur,
    Vous vous assoiriez sous ma porte
    ...

  • C'était une amitié simple et pourtant secrète :
    J'avais sur sa parure un fraternel pouvoir,
    Et quand au seuil d'un bal nous nous trouvions le soir,
    J'aimais à l'arrêter devant moi tout prête.

    Elle abattait sa jupe en renversant la tête,
    Et consultait mes yeux comme un dernier miroir,
    Puis elle me glissait un furtif : "Au revoir !"
    Et belle, en...

  • Je voudrais, les prunelles closes,
    Oublier, renaître, et jouir
    De la nouveauté, fleur des choses,
    Que l'àge fait évanouir.

    Je resaluerais la lumière,
    Mais je déplierais lentement
    Mon âme vierge et ma paupière
    Pour savourer l'étonnement ;

    Et je devinerais moi-même
    Les secrets que nous apprenons ;
    J'irais seul aux êtres que j'aime...

  • Que n'ai-je à te soumettre ou bien à t'obéir ?
    Je te vouerais ma force ou te la ferais craindre ;
    Esclave ou maître, au moins je te pourrais contraindre
    A me sentir ta chose ou bien à me haïr.

    J'aurais un jour connu l'insolite plaisir
    D'allumer dans ton coeur des soifs, ou d'en éteindre,
    De t'être nécessaire ou terrible, et d'atteindre,
    Bon gré, mal gré...

  • On a bâti là, plus réel
    Que l'échelle du patriarche,
    Un escalier dont chaque marche
    Est vraiment un pas vers le ciel.

    Dans la nature tout entière
    L'architecte prit à son gré
    Pour cet édifice sacré
    La plus glorieuse matière :

    Il prit des marbres sans rivaux,
    Fragments de ces pierres illustres
    Que la pioche aveugle des rustres
    ...

  • Ces vers, je les dédie aux amis inconnus,
    A vous, les étrangers en qui je sens des proches,
    Rivaux de ceux que j'aime et qui m'aiment le plus,
    Frères envers qui seuls mon coeur est sans reproches
    Et dont les coeurs au mien sont librement venus.

    Comme on voit les ramiers sevrés de leurs volières
    Rapporter sans faillir, par les cieux infinis,
    Un cher...

  • Le vase où meurt cette verveine
    D'un coup d'éventail fut fêlé ;
    Le coup dut effleurer à peine :
    Aucun bruit ne l'a révélé.

    Mais la légère meurtrissure,
    Mordant le cristal chaque jour,
    D'une marche invisible et sûre
    En a fait lentement le tour.

    Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
    Le suc des fleurs s'est épuisé ;
    Personne encore ne...

  • Dans les verres épais du cabaret brutal,
    Le vin bleu coule à flots et sans trêve à la ronde ;
    Dans les calices fins plus rarement abonde
    Un vin dont la clarté soit digne du cristal.

    Enfin la coupe d'or du haut d'un piédestal
    Attend, vide toujours, bien que large et profonde,
    Un cru dont la noblesse à la sienne réponde :
    On tremble d'en souiller l'...