• Les grands appartements qu'elle habite l'hiver
    Sont tièdes. Aux plafonds, légers comme l'éther,
    Planent d'amoureuses peintures.

    Nul bruit ; partout les voix, les pas sont assoupis
    Par la laine opulente et molle des tapis
    Et l'ample velours des tentures.

    Aux fenêtres, dehors, la grêle a beau sévir,
    Sous ses balles de glace à peine on sent frémir...

  • Viennent les ans ! J'aspire à cet âge sauveur
    Où mon sang coulera plus sage dans mes veines,
    Où, les plaisirs pour moi n'ayant plus de saveur,
    Je vivrai doucement avec mes vieilles peines.

    Quand l'amour, désormais affranchi du baiser,
    Ne me brûlera plus de sa fièvre mauvaise
    Et n'aura plus en moi d'avenir à briser,
    Que je m'en donnerai de tendresse à...

  • Il est plus d'un silence, il est plus d'une nuit,
    Car chaque solitude a son propre mystère :
    Les bois ont donc aussi leur façon de se taire
    Et d'être obscurs aux yeux que le rêve y conduit.

    On sent dans leur silence errer l'âme du bruit,
    Et dans leur nuit filtrer des sables de lumière.
    Leur mystère est vivant : chaque homme à sa manière
    Selon ses...

  • On connaît toujours trop les causes de sa peine,
    Mais on cherche parfois celles de son plaisir ;
    Je m'éveille parfois l'âme toute sereine,
    Sous un charme étranger que je ne peux saisir.

    Un ciel rose envahit mon être et ma demeure,
    J'aime tout l'univers, et, sans savoir pourquoi,
    Je rayonne. Cela ne dure pas une heure,
    Et je sens refluer les...

  • Nos yeux se sont croisés et nous nous sommes plu.
    Née au siècle où je vis et passant où je passe,
    Dans le double infini du temps et de l'espace
    Tu ne me cherchais point, tu ne m'as point élu ;

    Moi, pour te joindre ici le jour qu'il a fallu,
    Dans le monde éternel je n'avais point ta trace,
    J'ignorais ta naissance et le lieu de ta race :
    Le sort a donc...

  • Femme, cette colombe au col rose et mouvant,
    Que ta bouche entr'ouverte baise,
    Ne l'avait pas sentie humecter si souvent
    Son bec léger qui vibre d'aise.

    Elle n'avait jamais reçu de toi tout bas
    Les noms émus que tu lui donnes,
    Ni jamais de tes doigts, à l'heure des repas,
    Vu pleuvoir des graines si bonnes.

    Elle n'avait jamais senti ton coeur...

  • Dans un antique vase en Grèce découvert,
    D'une tombe exhumé, fait d'une argile pure
    Et dont le col est svelte, exquise la courbure,
    Trempe cette jacinthe, emblème aux yeux offert.

    Un essor y tressaille, et le bulbe entr'ouvert
    Déchire le satin de sa fine pelure ;
    La racine s'épand comme une chevelure,
    Et la sève a déjà doré le bourgeon vert....

  • Si j'ose comparer le déclin de ma vie
    A ton coucher sublime, ô Soleil ! je t'envie.
    Ta gloire peut sombrer, le retour en est sûr :
    Elle renaît immense avec l'immense azur.
    De ton sanglant linceul tout le ciel se colore,
    Et le regard funèbre où luit ton dernier feu,
    Ce regard sombre et doux, dont tu couves encore
    Le lys que ta ferveur a fait naguère...

  • Au temps où les plaines sont vertes,
    Où le ciel dore les chemins,
    Où la grâce des fleurs ouvertes
    Tente les lèvres et les mains,

    Au mois de mai, sur sa fenêtre,
    Un jeune homme avait un rosier ;
    Il y laissait les roses naître
    Sans les voir ni s'en soucier ;

    Et les femmes qui d'aventure
    Passaient près du bel arbrisseau,
    En se jouant,...

  • La pudeur n'a pas de clémence,
    Nul aveu ne reste impuni,
    Et c'est par le premier nenni
    Que l'ère des douleurs commence.

    De ta bouche où ton coeur s'élance
    Que l'aveu reste donc banni !
    Le coeur peut offrir l'infini
    Dans la profondeur du silence.

    Baise sa main sans la presser
    Comme un lis facile à blesser,
    Qui tremble à la...