• Fut-il jamais douceur de coeur pareille
    À voir Manon dans mes bras sommeiller ?
    Son front coquet parfume l'oreiller ;
    Dans son beau sein j'entends son coeur qui veille.
    Un songe passe, et s'en vient l'égayer.

    Ainsi s'endort une fleur d'églantier,
    Dans son calice enfermant une abeille.
    Moi, je la berce ; un plus charmant métier
    Fut-il jamais ?...

  • J'étais seul, l'autre soir, au Théâtre Français,
    Ou presque seul ; l'auteur n'avait pas grand succès.
    Ce n'était que Molière, et nous savons de reste
    Que ce grand maladroit, qui fit un jour Alceste,
    Ignora le bel art de chatouiller l'esprit
    Et de servir à point un dénoûment bien cuit.
    Grâce à Dieu, nos auteurs ont changé de méthode,
    Et nous aimons bien mieux...

  • Quand, par un jour de pluie, un oiseau de passage
    Jette au hasard un cri dans un chemin perdu,
    Au fond des bois fleuris, dans son nid de feuillage,
    Le rossignol pensif a parfois répondu.

    Ainsi fut mon appel de votre âme entendu,
    Et vous me répondez dans notre cher langage.
    Ce charme triste et doux, tant aimé d'un autre âge,
    Ce pur toucher du coeur...

  • Puisque c'est ton métier, misérable poète,
    Même en ces temps d'orage, où la bouche est muette,
    Tandis que le bras parle, et que la fiction
    Disparaît comme un songe au bruit de l'action ;
    Puisque c'est ton métier de faire de ton âme
    Une prostituée, et que, joie ou douleur,
    Tout demande sans cesse à sortir de ton coeur ;
    Que du moins l'histrion, couvert d'un...

  • Vous connaissez que j'ai pour mie
    Une Andalouse à l'oeil lutin,
    Et sur mon coeur, tout endormie,
    Je la berce jusqu'au matin.

    Voyez-la, quand son bras m'enlace,
    Comme le col d'un cygne blanc,
    S'enivrer, oublieuse et lasse,
    De quelque rêve nonchalant.

    Gais chérubins ! veillez sur elle.
    Planez, oiseaux, sur notre nid ;
    Dorez du reflet...

  • Si ta bouche ne doit rien dire
    De ces vers désormais sans prix ;
    Si je n'ai, pour être compris,
    Ni tes larmes, ni ton sourire ;

    Si dans ta voix, si dans tes traits,
    Ne vit plus le feu qui m'anime ;
    Si le noble coeur de Monime
    Ne doit plus savoir mes secrets ;

    Si ta triste lettre est signée ;
    Si les gardiens d'un vieux tombeau...

  • Si vous croyez que je vais dire
    Qui j'ose aimer,
    Je ne saurais, pour un empire,
    Vous la nommer.

    Nous allons chanter à la ronde,
    Si vous voulez,
    Que je l'adore et qu'elle est blonde
    Comme les blés.

    Je fais ce que sa fantaisie
    Veut m'ordonner,
    Et je puis, s'il lui faut ma vie,
    La lui donner.

    Du mal qu'une amour ignorée...

  • Jungfrau, le voyageur qui pourrait sur ta tête
    S'arrêter, et poser le pied sur sa conquête,
    Sentirait en son coeur un noble battement,
    Quand son âme, au penchant de ta neige éternelle,
    Pareille au jeune aiglon qui passe et lui tend l'aile,
    Glisserait et fuirait sous le clair firmament.

    Jungfrau, je sais un coeur qui, comme toi, se cache.
    Revêtu, comme...

  • Puisque votre moulin tourne avec tous les vents,
    Allez, braves humains, où le vent vous entraîne ;
    Jouez, en bons bouffons, la comédie humaine ;
    Je vous ai trop connus pour être de vos gens.

    Ne croyez pourtant pas qu'en quittant votre scène,
    Je garde contre vous ni colère ni haine,
    Vous qui m'avez fait vieux peut-être avant le temps ;
    Peu d'entre...

  • Ulric, nul oeil des mers n'a mesuré l'abîme,
    Ni les hérons plongeurs, ni les vieux matelots.
    Le soleil vient briser ses rayons sur leur cime,
    Comme un soldat vaincu brise ses javelots.

    Ainsi, nul oeil, Ulric, n'a pénétré les ondes
    De tes douleurs sans borne, ange du ciel tombé.
    Tu portes dans ta tête et dans ton coeur deux mondes,
    Quand le soir, près de...