• C'est un après-midi du Nord.
    Le ciel est blanc et morne. Il neige ;
    Et l'arbre du chemin se tord
    Sous la rafale qui l'assiège.

    Depuis l'aurore, il neige à flots ;
    Tout s'efface sous la tourmente.
    A travers ses rauques sanglots
    Une cloche au loin se lamente.

    Le glas râle dans le brouillard,
    Qu'aucune lueur n'illumine...
    Voici venir...

  • Derrière deux grands boeufs ou deux lourds percherons,
    L'homme marche courbé dans le pré solitaire,
    Ses poignets musculeux rivés aux mancherons
    De la charrue ouvrant le ventre de la terre.

    Au pied d'un coteau vert noyé dans les rayons,
    Les yeux toujours fixés sur la glèbe si chère,
    Grisé du lourd parfum qu'exhale la jachère,
    Avec calme et lenteur il...

  • La nuit d'hiver étend son aile diaphane
    Sur l'immobilité morne de la savane
    Qui regarde monter, dans le recueillement,
    La lune, à l'horizon, comme un saint-sacrement.
    L'azur du ciel est vif, et chaque étoile blonde
    Brille à travers les fûts de la forêt profonde.
    La rafale se tait, et les sapins glacés,
    Comme des spectres blancs, penchent leurs fronts lassés...

  • Notre langue naquit aux lèvres des Gaulois.
    Ses mots sont caressants, ses règles sont sévères,
    Et, faite pour chanter les gloires d'autrefois,
    Elle a puisé son souffle aux refrains des trouvères.

    Elle a le charme exquis du timbre des Latins,
    Le séduisant brio du parler des Hellènes
    Le chaud rayonnement des émaux florentins,
    Le diaphane et frais poli des...

  • Je suis un voleur, un filou,
    Un scélérat, je le confesse,
    Mais quand j'ai fait quelque bassesse,
    Hélas, je n'avais pas le sou !
    La faim rend un homme excusable,
    Un pauvre de grand appétit
    Peut bien être tenté du diable,
    Mais pour me voler mon esprit,
    Êtes-vous donc si misérable ?

    Or contre un semblable méfait,
    Notre code est muet,...

  • C'est à vous qu'ici je dédie
    Ces vers, enfants de mon loisir.
    Déjà ma bouteille est finie
    Et ma raison va revenir.
    Ne craignez pas que la sagesse
    Change votre image à mes yeux ;
    Je n'ai pas besoin de l'ivresse
    Pour vous voir bon et vertueux.

  • En expirant, le cygne chante encor,
    Ah laissez-moi chanter mon chant de mort !...

    Ah laissez-moi chanter, moi qui sans agonie
    Vais vous quitter dans peu d'instants,
    Qui ne regrette de la vie
    Que quelques jours de mon printemps
    Et quelques baisers d'une amie
    Qui m'ont charmé jusqu'à vingt ans !...

    Salut à toi, ma belle fiancée,
    Qui dans...

  • Sire, de grâce, écoutez-moi :
    Sire, je reviens des galères...
    Je suis voleur, vous êtes roi,
    Agissons ensemble en bons frères.
    Les gens de bien me font horreur,
    J'ai le coeur dur et l'âme vile,
    Je suis sans pitié, sans honneur :
    Ah ! faites-moi sergent de ville.

    Bon ! je me vois déjà sergent :
    Mais, sire, c'est bien peu, je pense.
    ...

  • Venise

    Nos marbres, pierres de tombeaux,
    Sont funèbres ou prosaïques.
    Les marbres roses ne sont beaux
    Que près de l'or des mosaïques.

    Le ciel levant vient se poser
    Sur leurs finesses d'aquarelles :
    On dirait qu'il donne un baiser
    À des gorges de tourterelles.

    En des accords blonds et tremblants
    Résumant la douceur des choses,...

  • A Sully Prudhomme.

    Pour faire tous les coeurs contents
    Avril revient. C'est le printemps
    Qui pleure, qui rit et barbotte,
    Et qui, chargé de falbalas,
    Nous offre ses premiers lilas
    "Fleurissez-vous ! deux sous la botte !"

    Puis, comme un rêve parfumé,
    Les petites roses de mai,
    Et les dernières violettes,
    ...