• Prends ce bloc d'argent, adroit ciseleur.
    N'en fais point surtout d'arme belliqueuse,
    Mais bien une coupe élargie et creuse
    Où le vin ruisselle et semble meilleur.
    Ne grave à l'entour Bouvier ni Pléiades,
    Mais le choeur joyeux des belles Mainades,
    Et l'or des raisins chers à l'oeil ravi,
    Et la verte vigne, et la cuve ronde
    Où les vendangeurs...

  • Si l'Aurore, toujours, de ses perles arrose
    Cannes, gérofliers et maïs onduleux ;
    Si le vent de la mer, qui monte aux pitons bleus,
    Fait les bambous géants bruire dans l'air rose ;

    Hors du nid frais blotti parmi les vétivers
    Si la plume écarlate allume les feuillages ;
    Si l'on entend frémir les abeilles sauvages
    Sur les cloches de pourpre et les...

  • Oriôn, tout couvert de la neige du pôle,
    Auprès du Chien sanglant montrait sa rude épaule ;
    L'ombre silencieuse au loin se déroulait.
    Alkmène ayant lavé ses fils, gorgés de lait,
    En un creux bouclier à la bordure haute,
    Héroïque berceau, les coucha côte à côte,
    Et, souriant, leur dit : Dormez, mes bien-aimés.
    Beaux et pleins de santé, mes chers petits, dormez...

  • (Études latines, V)

    Depuis neuf ans et plus dans l'amphore scellée
    Mon vin des coteaux d'Albe a lentement mûri ;
    Il faut ceindre d'acanthe et de myrte fleuri,
    Phyllis, ta tresse déroulée.

    L'anis brûle à l'autel, et d'un pied diligent
    Tous viennent couronnés de verveine pieuse ;
    Et mon humble maison étincelle joyeuse
    Aux reflets des coupes...

  • La terre était immense, et la nue était morne ;
    Et j'étais comme un mort en ma tombe enfermé,
    Et j'entendais gémir dans l'espace sans borne
    Ceux dont le coeur saigna pour avoir trop aimé :

    Femmes, adolescents, hommes, vierges pâlies,
    Nés aux siècles anciens, enfants des jours nouveaux,
    Qui, rongés de désirs et de mélancolies,
    Se dressaient devant moi...

  • Un long silence pend de l'immobile nue.
    La neige, bossuant ses plis amoncelés,
    Linceul rigide, étreint les océans gelés.
    La face de la terre est absolument nue.

    Point de villes, dont l'âge a rompu les étais,
    Qui s'effondrent par blocs confus que mord le lierre.
    Des lieux où tournoyait l'active fourmilière
    Pas un débris qui parle et qui dise : J'...

  • Le sable rouge est comme une mer sans limite,
    Et qui flambe, muette, affaissée en son lit.
    Une ondulation immobile remplit
    L'horizon aux vapeurs de cuivre où l'homme habite.

    Nulle vie et nul bruit. Tous les lions repus
    Dorment au fond de l'antre éloigné de cent lieues,
    Et la girafe boit dans les fontaines bleues,
    Là-bas, sous les dattiers des panthères...

  • Ô mon Seigneur Christus ! hors du monde charnel
    Vous m'avez envoyé vers les neuf maisons noires :
    Je me suis enfoncé dans les antres de Hel.

    Dans la nuit sans aurore où grincent les mâchoires,
    Quand j'y songe, la peur aux entrailles me mord !
    J'ai vu l'éternité des maux expiatoires.

    Me voici revenu, tout blême, comme un mort.
    Seigneur Dieu, prenez...

  • J'ai vécu, je suis mort. - Les yeux ouverts, je coule
    Dans l'incommensurable abîme, sans rien voir,
    Lent comme une agonie et lourd comme une foule.

    Inerte, blême, au fond d'un lugubre entonnoir
    Je descends d'heure en heure et d'année en année,
    À travers le Muet, l'Immobile, le Noir.

    Je songe, et ne sens plus. L'épreuve est terminée.
    Qu'est-ce donc...

  • Sous la nue où le vent qui roule
    Mugit comme un troupeau de boeufs,
    Dans l'ombre la mer dresse en foule
    Les cimes de ses flots bourbeux.

    Tous les démons de l'Atlantique,
    Cheveux épars et bras tordus,
    Dansent un sabbat fantastique
    Autour des marins éperdus.

    Souffleurs, cachalots et baleines,
    Mâchant l'écume, ivres de bruit,
    Mêlent...