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    Je suis fait d’ombre et de marbre.
    Comme les pieds noirs de l’arbre,
    Je m’enfonce dans la nuit.
    J’écoute ; je suis sous terre ;
    D’en bas je dis au tonnerre :
    Attends ! Ne fais pas de bruit.

    Moi qu’on nomme le poète,
    Je suis dans la nuit muette
    L’escalier mystérieux ;
    Je suis l’escalier Ténèbres ;
    Dans mes spirales funèbres...

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    Je suis haï. Pourquoi ? Parce que je défends
    Les faibles, les vaincus, les petits, les enfants.
    Je suis calomnié. Pourquoi ? Parce que j’aime
    Les bouches sans venin, les cœurs sans stratagème.
    Le bonze aux yeux baissés m’abhorre avec ferveur,
    Mais qu’est-ce que cela me fait, à moi rêveur ?
    Je sens au fond des cieux quelqu’un qui voit mon âme ;
    ...

  • Je vis Aldebaran dans les cieux. Je lui dis :

    — Ô toi qui luis ! Ô toi qui des clairs paradis
    Ou des hideux enfers portes la torche énorme,
    Toi seul connais ta loi, je ne vois que ta forme ;
    Car d'une énigme à l'autre on ne peut traverser.
    Tout est sphinx ; quand on voit la comète passer
    Farouche, et sans qu'aucun firmament l'ose exclure,
    Sait-on ce...

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    Les blancs fuyaient, les bleus mitraillaient la clairière.

    Un coteau dominait cette plaine, et derrière
    Le monticule nu, sans arbre et sans gazon,
    Les farouches forêts emplissaient l'horizon.

    En arrière du tertre, abri sûr, rempart sombre,
    Les blancs se ralliaient, comptant leur petit nombre,
    Et Jean Chouan parut, ses longs cheveux au vent....

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    Je regardai.

                             Je vis, tout près de la croisée,
    Celui par qui la pierre avait été lancée ;
    Il était jeune ; encor presque un enfant, déjà
    Un meurtrier.

                               Jeune homme, un dieu te protégea,
    Car tu pouvais tuer cette pauvre petite !
    Comme les sentiments humains s'écroulent vite
    Dans les cœurs...

  • J'entreprends de conter l'année épouvantable,
    Et voilà que j'hésite, accoudé sur ma table.
    Faut-il aller plus loin ? dois-je continuer ?
    France ! ô deuil ! voir un astre aux cieux diminuer !
    Je sens l'ascension lugubre de la honte.
    Morne angoisse ! un fléau descend, un autre monte.
    N'importe. Poursuivons. L'histoire en a besoin.
    Ce siècle est à la...

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    Jersey dort dans les flots, ces éternels grondeurs ;
    Et dans sa petitesse elle a les deux grandeurs ;
    Île, elle a l’océan ; roche, elle est la montagne.
    Par le sud Normandie et par le nord Bretagne,
    Elle est pour nous la France, et, dans son lit de fleurs,
    Elle en a le sourire et quelquefois les pleurs.

    Pour la troisième fois j’y vois les pommes...

  • I

    J'étais le vieux rôdeur sauvage de la mer,
    Une espèce de spectre au bord du gouffre amer ;
    J'avais dans l'âpre hiver, dans le vent, dans le givre,
    Dans l'orage, l'écume et l'ombre, émit un livre,
    Dont l'ouragan, noir souffle aux ordres du banni,
    Tournait chaque feuillet quand je l'avais fini ;
    Je n'avais rien en moi que l...

  • On leur fait des sonnets, passables quelquefois ;
    On baise cette main qu’elles daignent vous tendre ;
    On les suit à l’église, on les admire au bois ;
    On redevient Damis, on redevient Clitandre ;

    Le bal est leur triomphe, et l’on brigue leur choix ;
    On danse, on rit, on cause, et vous pouvez entendre,
    Tout en valsant, parmi les luths et les hautbois,
    ...

  • L’aube sur les grands monts se leva frémissante
    Le six janvier de l’an du Christ huit cent soixante,
    Comme si dans les cieux cette clarté savait
    Pourquoi l’homme de fer et d’acier se revêt
    Et quelle ombre il prépare aux livides journées.

    Une blême blancheur baigne les Pyrénées ;

    Le louche point du jour de la morne saison,
    Par places, dans le large et...