Je regardai.
Je vis, tout près de la croisée,
Celui par qui la pierre avait été lancée ;
Il était jeune ; encor presque un enfant, déjà
Un meurtrier.
Jeune homme, un dieu te protégea,
Car tu pouvais tuer cette pauvre petite !
Comme les sentiments humains s'écroulent vite
Dans les cœurs gouvernés par le prêtre qui ment,
Et comme un imbécile est féroce aisément !
Loyola sait changer Jocrisse en Schinderhanne,
Car un tigre est toujours possible dans un âne.
Mais Dieu n'a pas permis, sombre enfant, que ta main
Fit cet assassinat catholique et romain ;
Le coup a manqué. Va, triste spectre éphémère,
Deviens de l'ombre. Fuis ! Moi, je songe à ta mère.
Ô femme, ne sois pas maudite ! Je reçois
Du ciel juste un rayon clément. Qui que tu sois,
Mère, hélas ! quel que soit ton enfant, sois bénie !
N'en sois pas responsable et n'en sois pas punie !
Je lui pardonne au nom de mon ange innocent !
Lui-même il fut jadis l'être humble en qui descend
L'immense paradis, sans pleurs, sans deuils, sans voiles,
Avec tout son sourire et toutes ses étoiles.
Quand il naquit, de joie et d'amour tu vibras.
Il dormait sur ton sein comme Jeanne en mes bras ;
Il était de ton toit le mystérieux hôte ;
C'était un ange alors, et ce n'est pas ta faute,
Ni la sienne, s'il est un bandit maintenant.
Le prêtre, infortuné lui-même, et frissonnant,
À qui nous confions la croissance future,
Imposteur, a rempli cette âme d'imposture ;
L'aveugle a dans ce cœur vidé l'aveuglement.
À ce lugubre élève, à ce maître inclément
Je pardonne ; le mal a des pièges sans nombre ;
Je les plains ; et j'implore au-dessus de nous l'ombre.
Pauvre mère, ton fils ne sait pas ce qu'il fait.
Quand Dieu germait en lui, le prêtre l'étouffait.
Aujourd'hui le voilà dans cette Forêt-noire,
Le dogme ! Ignace ordonne ; il est prêt à tout boire,
Le faux, le vrai, le bien, le mal, l'erreur, le sang !
Tout ! Frappe ! il obéit. Assassine ! il consent.
Hélas ! comment veut-on que je lui sois sévère ?
Le sommet qui fait grâce au gouffre est le Calvaire.
Mornes bourreaux, à nous martyrs vous vous fiez ;
Et nous, les lapidés et les crucifiés,
Nous absolvons le vil caillou, le clou stupide ;
Nous pardonnons. C'est juste. Ah ! ton fils me lapide,
Mère, et je te bénis. Et je fais mon devoir.
Un jour tu mourras, femme, et puisses-tu le voir
Se frapper la poitrine, à genoux sur ta fosse !
Puisse-t-il voir s'éteindre en lui la clarté fausse,
Et sentir dans son cœur s'allumer le vrai feu,
Et croire moins au prêtre et croire plus à Dieu !