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    I

    Depuis quatre mille ans il tombait dans l’abîme.

    Il n’avait pas encor pu saisir une cime,
    Ni lever une fois son front démesuré.
    Il s’enfonçait dans l’ombre et la brume, effaré,
    Seul, et derrière lui, dans les nuits éternelles,
    Tombaient plus lentement les plumes de ses ailes.
    Il tombait foudroyé, morne silencieux,
    Triste, la bouche...

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    La plume, seul débris qui restât des deux ailes
    De l’archange englouti dans les nuits éternelles,
    Etait toujours au bord du gouffre ténébreux.
    Les morts laissent ainsi quelquefois derrière eux
    Quelque chose d’eux-mêmes au seuil de la nuit triste,
    Sorte de lueur vague et sombre, qui persiste.

    Cette plume avait-elle une âme ? qui le sait ?
    Elle...

  • Je vis dans la nuée un clairon monstrueux.

    Et ce clairon semblait, au seuil profond des cieux,
    Calme, attendre le souffle immense de l’archange.

    Ce qui jamais ne meurt, ce qui jamais ne change,

    L’entourait. À travers un frisson, on sentait
    Que ce buccin fatal, qui rêve et qui se tait,
    Quelque part, dans l’endroit où l’on crée, où l’on sème,
    Avait...

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    Quand le fils de Sancha, femme du duc Geoffroy,
    Gil, ce grand chevalier nommé l'Homme qui passe,
    Parvint, la lance haute et la visière basse,
    Aux confins du pays dont Ramire était roi,
    Il vit l'hydre. Elle était effroyable et superbe ;
    Et, couchée au soleil, elle rêvait dans l'herbe.
    Le chevalier tira l'épée et dit : C'est moi.
    Et l'hydre,...

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    La philosophie ose escalader le ciel.
    Triste, elle est là. Qui donc t’a bâtie, ô Babel ?
    Oh ! Quel monceau d’efforts sans but ! Quelles spirales
    De songes, de leçons, de dogmes, de morales !
    Ruche qu’emplit de bruit et de trouble un amas
    De mages, de docteurs, de papes, de lamas !
    Masure où l’hypothèse aux fictions s’adosse,
    Ayant pour toit la...

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    LE VIEILLARD.
    Ô mon fils, où cours-tu ?

    LE JEUNE HOMME.
                                          Vers les bosquets de Gnide
    J’ose en secret suivre les pas
    D’une vierge aimable et timide :
    Par pitié, ne me retiens pas.

    LE VIEILLARD.
    Jeune Homme, crains Vénus : son sourire est perfide,
    Minerve par ma voix t’offre ici son égide
    ...

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    Baal n’est pas tombé ; son temple,
    Antre du vieux crime immortel,
    Rayonne ; et Baal se contemple
    Et s’adore assis sur l’autel ;
    Il triomphe ; il a dans sa crypte
    La vieille Inde et la vieille Égypte ;
    Baal resplendit au milieu
    Entre l’idole et la momie ;
    Et la sombre terre endormie
    Rêve que ce monstre est son Dieu.

    Les deux...

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    Vous vous aimez avant tous,
    Paul, vous n’aimez que vous-même ;
    Mais si vous n’aimez que vous,
    Il n’est que vous qui vous aime.

    J. SAINTE-MARIE.

    [Le Conservateur littéraire, 15 avril 1820.]

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    L'enfant partout. Ceci se passe aux Tuileries.
    Plusieurs Georges, plusieurs Jeannes, plusieurs Maries ;
    Un qui tette un qui dort ; dans l'arbre un rossignol ;
    Un grand déjà rêveur qui voudrait voir Guignol ;
    Une fille essayant ses dents dans une pomme ;
    Toute la matinée adorable de l'homme ;
    L'aube et polichinelle ; on court, on jase, on rit ;
    ...

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    L’immense Être inconnu sourit. L’aube réveille
    Le ciron, la fourmi, la fleur des prés, l’abeille,
    Les nids chuchotants, les hameaux,
    La forêt aux profonds branchages, les campagnes,
    L’océan, le soleil derrière les montagnes,
    Mon âme derrière les maux.

    L’Être rêve. Il construit le lys dans le mystère ;
    Son doigt aide la taupe à faire un trou...