• Chers auditeurs, mon visage
    Pour moi seul vaut un portrait ;
    Mon miroir en garderait
    Le secret, si j’étais sage.

    Parmi mes petits neveux
    Qui lui sourira ? Qu’importe,
    Quand la folle tête est morte,
    La couleur de ses cheveux ?

    Ô poètes éphémères,
    Laissons la postérité ;
    N’est-ce pas, en vérité,
    La reine de nos chimères ?

    ...
  • Nous l’avons tous connu pendant l’horrible guerre.
    — Debout, voisin, debout, vous avez trop dormi ;
                Vous savez bien que l’ennemi
    A culbuté l’armée et passé la frontière.
    — De ces affaires là vous prenez trop de soin,
                Mon cher, la frontière est bien loin.

    — Sédan nous a ravi notre chance dernière ;
    L’Empereur pris... la France...

  • Il en est des moutons comme des écoliers ;
    À voir leur uniforme, on les croit tous les mêmes,
    Ils ont également l’air d’être forts en thêmes,
    Ils ont tous de grands yeux et des fronts réguliers ;

    Mais on en tâterait vainement des milliers
    Sans trouver deux pareils dans ces visages blêmes ;
    Tantôt fous, tantôt lourds, ils passent aux extrêmes
    Mais...

  • Gravement, à la file, elles vont au pâtis,
    Le jabot consterné, lourdes, mais empressées ;
    D’un rêve d’herbe tendre elles semblent bercées
    Et pétrissent la fange à pas appesantis.

    Elles ont le bec rude et de grands appétits ;
    Il semble que, parfois, au fond de leurs pensées
    Revient le souvenir de leurs gloires passées.
    Ah ! si le Capitole avait fait...

  • Mon frère le lion, tu rugis ta prière ;
    Tu la hurles, molosse, en abois infinis ;
    Tu la beugles, taureau; cheval, tu la hennis ;
    Tu la bêles, agneau. Chacun a sa manière.

    Au petit point du jour, saluant la lumière,
    Comme moi, mieux que moi, petits oiseaux bénis,
    Errants par la feuillée ou couchés dans vos nids,
    Vous chantez du Seigneur la bonté...

  • À la place où je suis, à la place où vous êtes,
    Dans la mousse mouillée et dans le gazon sec,
    Elles sont par milliers, faisant crier leur bec,
    Miroiter leur corsage et scintiller leurs crêtes.

    Les savants, sans pitié pour ces petites bêtes,
    Dont l’existence tient l’athéisme en échec,
    Leur ont donné des noms affreux tirés du grec
    Que les nomenclateurs...

  • À soixante ans passés, Jean marche d’un pas ferme.
    Jean, depuis cinquante ans, sert dans la même ferme ;
    Quand il y yint berger, à l’âge de dix ans,
    Il était si chétif dans ses habits trop grands
    Que le fermier d’alors, gros homme débonnaire,
    Qui tutoyait ses gens d’une voix de tonnerre
    Et s’en allait coucher quand sa femme parlait,
    Accueillant d’un...

  • Sur un nid de rencontre, au coin de l’appentis,
    La poule couve ; au toit la paille s’amoncelle ;
    La hideuse araignée y file à côté d’elle ;
    Elle couve en fermant ses yeux appesantis.

    Les poussins sont éclos avec leurs appétits,
    Elle gratte au hasard, fait diète et les appelle ;
    Soùs l’orage elle fait un auvent de son aile,
    Insuffisant asile où...

  • Je vous offre, amis lecteurs,
    Un bien gros bouquet des fleurs
            De ma province;
    Pour vous, quand vous aurez lu,
    Et pour moi j’aurais voulu
            Qu’il fût plus mince.

    L’avais-je cueilli pour vous
    Sous l’ombrage frais et doux
            De nos futaies,
    Dans les champs et dans les prés,
    Sur les talus empourprés,
            Au...

  • Pigeon, votre simple ramage,
    Sans fioriture et sans façon,
    N’est certes pas à l’unisson
    De votre ravissant plumage.

    Pigeon, mon ami, c’est dommage.
    Voulez-vous prendre une leçon ?
    Je vous ferai, filant le son,
    Rossignoler à mon image.

    — Merci, Rossignol, grand merci.
    Si nos gosiers sont faits ainsi,
    C’est qu’ils nous conviennent...