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    Un brutal écrivain t’outrage dans son livre
    Et soutient que tes fils sont lâches et pervers,
    Terre ! ― Moi qui t’adore et que ton souffle enivre,
    Je viens te faire amende honorable en ces vers.

    Car c’est toi la beauté, la pureté suprême,
    Fille des flots et chaste épouse du soleil,
    Mère du genre humain qui de tes flancs essaime
    Et retourne en...

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    Quand le désir nous prend, artistes ou poètes,
    Ouvriers ou penseurs, gens de rien ou de peu,
    De déserter Paris qui nous met l’âme en feu,
    Pour aller écouter aux champs les alouettes,

    N’est-il pas vrai qu’avant d’apercevoir le seuil
    Que la mort, nous absents, a visité peut-être,
    Mais où quelqu’un encor saura nous reconnaître,
    Où, tout au moins...

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    C’est à toi que je veux offrir mes premiers vers,
    Père ! J’en ai cueilli les strophes un peu rudes
    Là-haut, dans ton Rouergue aux âpres solitudes,
    Parmi les bois touffus et les genêts amers.

    Tu ne les liras point, je le sais, ô mon père !
    Car tu ne sais pas lire, hélas ! et toi qui fis
    Tant d’efforts pour donner des maîtres à ton fils,
    On ne...

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    Jean le Pâtre, de Ginestous,
    Dans le canton connu de tous,
    Vient de mourir sans agonie ;
    Il avait quatre-vingt-sept ans,
    Tous ses cheveux, toutes ses dents,
    Et, dans son genre, du génie.

    Son goût, qui jamais ne changea,
    À six ans lui faisait déjà
    Suivre le berger de la ferme,
    Qui ― comme un roi son héritier ―
    L’initiait au...

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    Oh ! je vois tout d’ici, frère, à travers ta lettre :
    Notre moulin muet, l’étang glacé, les bois
    Blancs de givre et de neige et craquant sous le poids,
    Et les moineaux plaintifs assiégeant la fenêtre ;

    Et vous tous entourant le lit où, sans effort,
    ― Calme et les bras croisés sur sa poitrine frêle
    D’où l’âme va s’enfuir et déjà bat de l’aile, ―...

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    C'est moi qui suis le sabotier ;
    Et le village tout entier
    — Homme, femme, enfant — pêle-mêle
    Chez moi vient doubler sa semelle
    De bois de hêtre ou de noyer ;
    C'est moi qui suis le sabotier.
     
    Je sais qu'il est des gens futiles,
    Et que les riches, dans les villes,
    Portent des chaussures de peau.
    Ça n'est pas sain, ça n'est pas...

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    Le soleil de juillet à la flamme aveuglante
    Enveloppe les blés dorés pleins de frissons,
    La prairie aux flots bleus, la foret somnolente
    Et la bruyère où les criquets font leurs chansons.

    On entend le bruit clair des faux que l'on aiguise,
    Là-bas, près des ruisseaux, au pied des trembles blancs ;
    Mais dans la chambre nue où le jour agonise
    Le...

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    Lorsque tu reviendras, mon petit, de là-haut,
    ― Et je crois, malgré tout, que ton retour est proche, ―
    Si tu n'es cul-de-jatte, aveugle ni manchot,
    Et si tu comprends bien que tu dois au plus tôt
    Raccrocher ton fusil et reprendre ta pioche,

    Rapporte dans ton sac ou ta musette, au lieu
    De quelques vains éclats de ferraille rouillée,
    Un peu de...

  • Les genêts, doucement balancés par la brise,
    Sur les vastes plateaux font une boule d'or ;
    Et tandis que le pâtre à leur ombre s'endort,
    Son troupeau va broutant cette fleur qui le grise ;

    Cette fleur qui le fait rêver d'amour, le soir,
    Quand il roule du haut des monts vers les étables,
    Et qu'il croise en chemin les grands boeufs vénérables
    Dont...

  • Elle perdit d'abord et par degrés sa voix
    Qu'elle avait chaude et grave, émue et pénétrante
    Comme la voix du loriot au fond des bois...
    En l'écoutant chanter pour ses amis, parfois,
    Même quand nul encor ne la savait souffrante,
    Je me sentis le coeur traversé du soupçon
    Qu'elle leur donnait trop de son âme vibrante,
    Que son air s'achevait en un furtif...