Un brutal écrivain t’outrage dans son livre
Et soutient que tes fils sont lâches et pervers,
Terre ! ― Moi qui t’adore et que ton souffle enivre,
Je viens te faire amende honorable en ces vers.
Car c’est toi la beauté, la pureté suprême,
Fille des flots et chaste épouse du soleil,
Mère du genre humain qui de tes flancs essaime
Et retourne en tes flancs chercher le grand sommeil.
Rien n’est bon comme toi, nourrice triomphante,
Qui depuis cent mille ans, sans te lasser un jour,
Mets aux lèvres de ceux que ton amour enfante
Plus de pains qu’ils n’ont mis de grains dans ton labour.
Rien n’est fort comme toi, fière et robuste aïeule
Qui n’as pas une ride au sein ni sur le front,
Et qui ― quand tout vieillit, se flétrit et meurt ― seule
Vois les siècles passer sans en subir l’affront !
* * *
Et tes fils ont un corps viril et l’âme saine ;
Qui les peint dépravés ne les fréquenta point
La vie au grand soleil ne fait pas l’homme obscène,
Et l’on n’est jamais vil, une charrue au poing.
Non, il n’a pas vécu chez ceux qu’il injurie,
L’auteur du livre infâme où tous nos paysans
Sont des brutes creusant le sol avec furie
Comme pour y cacher leurs instincts malfaisants.
Non, il n’a pas compris leurs épouses fidèles,
Plus vaillantes encor souvent que leurs maris,
Et, comme la Romaine, étalant autour d’elles
Leur luxe de beaux gars qu’elles ont tous nourris.
Non, il n’a pas connu nos franches jeunes filles
Que l’air rude des champs fait hautes en couleur,
Qui vont riant, pieds nus et montrant leurs chevilles,
― Aussi chastes pourtant que la bruyère en fleur.
Et leurs frères, conscrits naïfs, encore imberbes,
Qui pleurent quelquefois en quittant le sillon,
Mais qui, six mois après, sont des soldats superbes
Tenant droit le fusil comme hier l’aiguillon,
Où les a-t-il donc vus, le corps mou, le coeur lâche,
Allant aux urnes comme au boucher leurs troupeaux,
Puis se faisant sauter les doigts d’un coup de hache
Lorsque l’heure a sonné de joindre les drapeaux ?
Eh quoi ! les rejetons des anciens volontaires
Et des troupiers d’Afrique à l’élan surhumain
N’ont plus rien des vertus chez nous héréditaires,
Et voilà quels seraient nos vengeurs du demain ?
Non, non, c’est blasphémer l’armée et la patrie
Que de sacrifier les cadets aux aînés,
De dire que la veine héroïque est tarie,
Et que plus rien ne pousse en nos champs moissonnés...
Ah ! ne touche donc pas à ce valet de ferme,
À ce fils de berger sur la lande grandi :
Sous leur front dur et clair habite un esprit ferme,
Et sous leur blouse bat un coeur chaud et hardi.
Cynique romancier, laisse-les sous leurs chênes,
Ne trouble pas leur air des senteurs de Paris,
Et puissent-ils, au jour des batailles prochaines,
N’avoir pas lu le livre où tu les as flétris !...
* * *
Et toi qui du plus pur de ton sang les abreuves,
Terre, veille sur eux avec un soin jaloux,
Conserve-les fervents pour le temps des épreuves,
Toi qui gardes leurs soeurs vierges à leurs époux.
Fais qu’ils t’aiment ; étale à leurs yeux tes parures,
Tes manteaux verts ou bruns, tes fleurs et tes épis,
Tes ors fauves d’automne et les blanches fourrures
Dont tu couvres, l’hiver, tes beaux flancs assoupis.
Chante-leur les chansons de tes forêts mouvantes,
De tes fleuves roulant de l’ombre ou du soleil,
La complainte des mers par les nuits d’épouvantes,
Ou des grands prés joyeux à l’heure du réveil.
Pour eux plus que jamais montre-toi maternelle,
Prodigue-leur tes biens à travers les saisons ;
Et – comme la perdrix abrite sous son aile
Ses poussins – dans tes bois cache tes nourrissons.
Rends leurs corps beaux et fiers comme les troncs des hêtres,
Comme tout ce qui naît et croît en liberté ;
Ressuscite pour eux l’âme de leurs ancêtres,
Toute faite d’élan, de force et de clarté ;
Et tu nous sauveras des abîmes où tombe
Tout peuple qui t’oublie ou rit de tes leçons,
Car tu ne voudras point n’être plus qu’une tombe,
Ô mère des soldats et mère des moissons !