Lorsque tu reviendras, mon petit, de là-haut,
― Et je crois, malgré tout, que ton retour est proche, ―
Si tu n'es cul-de-jatte, aveugle ni manchot,
Et si tu comprends bien que tu dois au plus tôt
Raccrocher ton fusil et reprendre ta pioche,
Rapporte dans ton sac ou ta musette, au lieu
De quelques vains éclats de ferraille rouillée,
Un peu de cette terre héroïque et souillée,
Cuite et recuite dans le sang et dans le feu,
Et gardant la vertu de ceux qui l’ont foulée.
Ramasse-la pieusement, à deux genoux,
Ainsi qu’un pèlerin aux pentes du Calvaire,
De préférence sur tel tertre solitaire
Où la petite croix d’aubépine ou de houx
Marque la place où dort un soldat de chez nous.
Serre bien ton trésor, ne le perds pas en route,
N’en parle point aux sots qui pourraient t’en railler ;
Plus que jamais fais de ton sac ton oreiller ;
L’âme du mort tout bas te parlera sans doute
Et le mort fut toujours le meilleur conseiller !
En rentrant fais deux parts de la sainte poussière :
Sèmes-en une, un soir, sur les tombes de ceux
Qui dorment dans un coin de l’étroit cimetière,
Morts, hélas ! de savoir leurs enfants morts loin d’eux.
À ce contact, leurs os frémiront dans leur bière.
Le lendemain, à l’heure où le soleil levant
Fait chanter l’alouette et crier la charrue,
Va revoir l’humble clos dont la pluie et le vent
Ont fait en ton absence une friche bourrue,
Mais que tes soins rendront plus fertile qu’avant.
Dans le premier sillon ouvert par ton araire,
À l’endroit où l’on plante, en mai, près du sentier
Une fragile croix en bois de noisetier,
Mêle pieusement au sol héréditaire,
Comme un levain qui le fera fructifier,
Le reste de la Terre en ton sac rapportée
Des coteaux consacrés qu’on appelle le Front.
Là-haut nos soldats morts sans fin reposeront,
Mais leur cendre par toi sur leur glèbe jetée
Gonflera les épis que leurs fils faucheront.