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    Le ciel flambe et la terre fume,
    La caille frémit dans le blé ;
    Et, par un spleen lourd accablé,
    Je dévore mon amertume.

    Sous l’implacable Thermidor
    Souffre la nature immobile ;
    Et dans le regret et la bile
    Mon chagrin s’aigrit plus encor.

    Crève donc, cœur trop gonflé, crève,
    Cœur sans courage et sans raison,
    Qui ne peux...

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    À Théodore de Banville.

    L’an mil quatre cent trois, juste un mois après Pâques,
    Le jour des bienheureux saint Philippe et saint Jacques,
    Très-haut et très-puissant Gottlob, dit le Brutal,
    Baron d’Hildburghausen, comte de Schnepfenthal,
    Grand bailli d’Elbenau, margrave héréditaire
    De Schlotemsdorff, seigneur du fleuve et de la terre,
    Le...

  • À Claudius Popelin, maître émailleur.

    Après avoir blanchi sous un grimoire antique,
    Près du creuset, bravant fagots et Montfaucon,
    Sans avoir trouvé l’or ni le basilicon,
    L’ancien souffleur mourait, pauvre et sans viatique.

    Mais, comme pour venger la foi cabalistique,
    La chimie émergeait des fourneaux de Bacon ;
    Et, tâchant d’...

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    J’AURAI cinquante ans tout à l’heure ;
    Je m’y résigne, Dieu merci !
    Mais j’ai ce très grave souci :
    Plus je vieillis, et moins je pleure.

    Je souffre pourtant aujourd’hui
    Comme jadis, et je m’honore
    De sentir vivement encore
    Toutes les misères d’autrui.

    Oh ! la bonne source attendrie
    Qui me montait du cœur aux yeux...

  • Puisqu’à peine désenlacée
    De l’étreinte de mes deux bras,
    Tu demandes à ma pensée
    Ces vers qu’un jour tu brilleras,

    Il faut, ce soir, que je surmonte
    L’état d’adorable langueur
    Où je rougis un peu de honte,
    Tout en souriant de bonheur.

    Pourtant je l’aime, ma fatigue.
    C’est ton œuvre, et le long baiser
    De ta bouche ardente et...

  • Non, ce n’est pas en vous « un idéal » que j’aime,
    C’est vous tout simplement, mon enfant, c’est vous-même.
    Telle Dieu vous a faite, & telle je vous veux.
    Et rien ne m’éblouit, ni l’or de vos cheveux,
    Ni le feu sombre & doux de vos larges prunelles,
    Bien que ma passion ait pris sa source en elles.
    Comme moi, vous devez avoir plus d’un défaut ;...

  • Maman, et toi, vieux père, et toi, ma sœur mignonne,
    Ce soir, en attendant que le couvre-feu sonne,
    Je mets la plume en main pour vous dire comment
    Je pense tous les jours à vous très-tendrement,
    Très-tristement aussi, malgré toute espérance ;
    Car, bien qu’ayant juré de mourir pour la France
    Et certain d’accomplir jusqu’au bout mon devoir,
    Je ne puis...

  • Rougissante & tête baissée,
    Je la vois me sourire encor.
    — Pour le doigt de ma fiancée
    Qu’on me fasse un bel anneau d’or.
     
    Elle part, mais bonne & fidèle ;
    Je vais l’attendre en m’affligeant.
    — Pour garder ce qui me vient d’elle
    Qu’on me fasse un coffret d’argent.
     

    J’ai sur le cœur un poids énorme ;
    L’exil est trop...

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    Près de la vieille Égra, dans la Bohême noire,
    Rude et sombre contrée à la sanglante histoire,
    Le pâtre au voyageur désigne encor du doigt
    Un très ancien moutier des sœurs de Saint-Benoît,
    Écroulé sous l’assaut des lierres parasites.

    Du temps que Sigismond fît contre les Hussites
    L’épouvantable guerre où tant de sang coula,
    Cette maison avait...

  • À Hyacinthe Guadet-Azaïs.

    Devant la loterie éclatante, où les lots
    Sont un sucre de pomme ou quelque étrange vase,
    L’illustre Arpin, devant un public en extase,
    Manipule des poids de cinquante kilos.

    Colossal, aux lueurs sanglantes des falots,
    Il beugle un boniment et montre avec emphase
    Sa nièce, forte fille aux courts jupons...