Saint Christophe d’Ecija

J’ai vu dans Ecija, vieille ville moresque,
Aux clochers de faïence, aux palais peints à fresque,
Sous les rayons de plomb du soleil étouffant,
Un colosse doré qui portait un enfant.
Un pilier de granit, d’ordre salomonique,
Servait de piédestal au vieillard athlétique ;
Sa colossale main sur un tronc de palmier
S’appuyait largement et le faisait plier ;
Et tous ses nerfs roidis par un effort étrange,
Comme ceux de Jacob dans sa lutte avec l’ange,
Semblaient suffire à peine à soutenir le poids
De ce petit enfant qui tenait une croix !
« Quoi ! géant aux bras forts, à la poitrine large,
Tu te courbes vaincu par cette faible charge,
Et ta dorure, où tremble une fauve lueur,
Semble fondre et couler sur ton corps en sueur !

— « Ne sois pas étonné si mes genoux chancellent,
Si mes nerfs sont roidis, si mes tempes ruissellent.
Certes, je suis de bronze et taillé de façon
À passer les vigueurs d’Hercule et de Samson !
Mon poignet vaut celui du vieux Crotoniate ;
Il n’est pas de taureau que d’un coup je n’abatte,
Et je fends les lions avec mes doigts nerveux ;
Car nulle Dalila n’a touché mes cheveux.
Je pourrais, comme Atlas, poser sur mes épaules
La corniche du ciel et les essieux des pôles ;
Mais je ne puis porter cet enfant de six mois
Avec son globe bleu surmonté d’une croix ;
Car c’est le fruit divin de la Vierge féconde,
L’enfant prédestiné, le rédempteur du monde ;
C’est l’esprit triomphant, le Verbe souverain :
Un tel poids fait plier même un géant d’airain ! »

Collection: 
1831

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