Une nuit qu’au milieu des bourrasques farouches,
Et de tous les effrois ouvrant toutes leurs bouches,
Ma vitre en pleurs tremblait au choc du vent profond,
Éveillé, je songeais :
― Hélas ! Qu’est-ce que font
Toutes ces sombres eaux qui hurlent dans l’espace ?
Oh ! Ce pauvre bateau qui dans cette ombre passe !
Ô mon Dieu ! Comme il lutte, et se débat, et fuit,
Pris dans cette prison d’épouvante et de bruit !
Quels geôliers que les flots quand ils tiennent les hommes !
Pour un peu de pain noir, ou pour de grosses sommes,
La barque affronte l’onde et l’air plein de sanglots
Et la brume, et je plains les pâles matelots.
Ô gouffre ! Apocalypse ! Effrayante épopée !
La mer a par moments l’air de s’être échappée.
Un cri farouche sort des vagues, ces tourments.
Il faudrait frissonner devant les éléments
Si l’écume, l’écueil, l’onde, l’aquilon sombre,
Pouvaient parfois briser l’anneau noir qui dans l’ombre
Les rive à l’équité, mystérieux pilier.
Est-ce que tout ceci serait irrégulier ?
Est-ce que, par hasard, un flot passerait l’autre ?
Serait-ce un insensé que le vent qui se vautre
Dans la nuée, et crie aux vagues d’accourir ?
Quoi ! Ce bon vieux pêcheur part ce soir pour nourrir
Sa famille qui souffre et dont la faim le navre,
Et voilà, dès qu’il est sorti de l’humble havre,
Que l’orage et la nuit le jugent sans appel !
Sous ses pieds, les brisants, invisible archipel,
L’accusent ; sur son front l’ouragan le discute ;
Et ce bourreau masqué, l’abîme, l’exécute !
Tout est dit. L’eau s’enfuit. Est-il coupable ? Non.
Est-ce que l’océan dans son sourd cabanon
Peut saisir un pauvre homme et l’étouffer sous l’onde,
Seigneur, sans déranger l’équilibre du monde ?
Est-ce qu’il serait vrai que la nature osât
Frapper sur l’homme, ainsi qu’on bâtonne un forçat ?
L’eau cache-t-elle un piège en sa vague lyrique ?
Et que deviendrons-nous si la mer prévarique ?
Dieu la laisserait-il libre et folle en effet ?
Est-ce que l’ouragan ne sait pas ce qu’il fait ?
Ah ! Si la goutte d’eau noie à tort un atome,
Est-ce qu’on ne va pas, au fond du divin dôme,
Voir trembler l’astre, et voir, dans la mer des rayons,
Pêle-mêle, sombrer les constellations ?
Quoi ! Puni sans mal faire ! Est-ce que c’est possible ?
Quoi ! D’un carquois sans yeux l’homme serait la cible ?
Est-ce qu’il se pourrait que le naufrage, ô Dieu,
La rafale, l’esquif coupé par le milieu,
Le cadavre roulé sous les houles funèbres,
Fût un tâtonnement sinistre des ténèbres,
Ces aveugles d’en haut qui frappent à côté ?
Est-ce qu’il se pourrait que cette obscurité
Fît devant l’infini des actions infâmes ?
Dieu, ces gens ont des fils, des mères et des femmes ;
Ce matin, ces pêcheurs, dans l’île où nous tremblons,
Faisaient sur leurs genoux sauter des enfants blonds ;
Pourquoi permettre aux eaux, à l’air, aux rocs, aux lames,
De prendre en leurs poings noirs toutes ces pauvres âmes ?
Pourquoi tiens-tu captifs, seigneur, tous ces vivants
Dans l’orageux réseau des vagues et des vents ?
Pourquoi ces flots suspects font-ils ce bruit de chaînes ?
Pourquoi tous ces marins, bons cœurs, sans fiel, sans haines,
Emportés par la mort, pris par l’abîme amer,
Liés dans l’ombre au fond des cachots de la mer ?
Qu’ont-ils fait ? Et pourquoi les frapper sans relâche ?
Pourquoi tous ces éclairs que sur eux ta main lâche ?
Je ne m’explique pas ces souffles rugissants,
Rués sur des plaintifs et sur des innocents.
Père, il ne se peut pas que ton gouffre se trompe,
Que ta sagesse ait tort, bégaie ou s’interrompe,
Cela ne se peut pas ; cela ferait douter.
L’océan ne doit rien avoir à rétracter ;
Car l’ouragan est juste et la foudre est intègre. ―
Et la bise de mer, bourrue, irritée, aigre,
Couvrant d’obscurs brouillards les astres que conduit
La navigation immense de la nuit,
M’apparut, face pâle, à travers ma fenêtre,
Et me dit : ― Que sais-tu ? Nous délivrons peut-être.