Recueillements poétiques/Fragment biblique

 
MICOL, JONATHAS.

MICOL, dans l’obscurité, sans voir Jonathan.

Lastre des nuits à peine a fini sa carrière,
Et déjà le sommeil a fui de ma paupière !
O nuit ! ô doux sommeil ! tout ressent vos bienfaits !
Hélas ! et mes yeux seuls ne les goûtent jamais !

(Elle tombe à genoux près de l’arche.)

Toi que j’invoque en vain, toi dont la main puissante
A semé de ces feux la voûte éblouissante,
Toi de qui la parole a formé les humains
Pour servir de jouet à tes divines mains,
O Dieu ! si de ce trône ardent, inaccessible,
Où se cache à nos yeux ta majesté terrible,
Tu daignes abaisser tes regards jusqu’à nous,
Vois une amante en pleurs tombant à tes genoux !
Vois ce cœur déchiré qui tremble et qui t’implore
Au pied du tabernacle où tu veux qu’on t’adore,
T'offrir, sans se lasser de tes cruels refus,
Des vœux toujours soumis et jamais entendus !
Vois en pitié ce peuple accablé de misère,
Vois en pitié ce roi que poursuit ta colère !
A ce peuple abattu rends ta gloire, Seigneur !
Rends ta force à Saûl, et David à mon cœur !

(Elle se relève.)

Quoi ! le ciel aurait-il écouté ma prière ?
Ma prière a rendu ma douleur moins amère !
Il semble qu’en mon cœur une invisible main
Verse un baume inconnu qui rafraîchit mon sein !
Quel pouvoir assoupit le feu qui me dévore ?
Est-ce un premier regard de ce Dieu que j’implore ?
Est-ce un rayon d’espoir qui descend dans mon cœur ?
Mais pour moi l’espérance, hélas ! n’est qu’une erreur.

(Avec plus d’abattement.)

O David ! que fais-tu ? Dans quel climat barbare
Gémis-tu, loin de moi, du sort qui nous sépare ?
Quels monts ou quels rochers cachent tes tristes jours ?
Dans quels déserts languit l’objet de mes amours ?
Seul au fond des forêts peut-être, à la même heure,
Il lève au ciel ses mains, il m’appelle, il me pleure !
Il pleure ! et nos soupirs, autrefois confondus,
Emportés par les vents, ne se répondent plus !
Ah ! pour moi, jusqu’au jour où la main de mon père
Aura fermé mes veux lassés de la lumière,
Redemandant David et lui tendant les bras,
Mes yeux de le pleurer ne se lasseront pas !

JONATHAS, s’avançant vers Micol.

Épouse de David ! que le Dieu de nos pères
Vous comble dans ce jour de ses bontés prospères !

MICOL.

Pourquoi me parlez-vous des bontés du Seigneur ?
Je n’ai depuis longtemps connu que sa rigueur !

JONATHAS.

Le Seigneur est sévère, et n’est pas inflexible :
Aux cris de l’innocence il se montre sensible ;
Il abat, il relève, il console, il punit ;
Tel aujourd’hui l’accuse et demain le bénit.

 
MICOL.

J’adore sa justice et ne puis la comprendre.
La voix d’un cœur brisé n’a pu se faire entendre ;
II m’a ravi ma joie, et la tombe aujourd’hui
Est le dernier bienfait que j’attende de lui.

JONATHAS.

Mais si ce Dieu, ma sœur, lassé de sa colère,
Jetait sur Israël un regard moins sévère ?
S’il désarmait son bras ? s’il ramenait à nous
Le vengeur de Juda, mon espoir, votre époux ?
Si David...

MICOL.

                                                              Ah ! cruel ! quel est donc ce langage ?
Pourquoi d’un tel bonheur me rappeler l’image ?
Arraché de mes bras depuis un si long temps,
David est-il encore au nombre des vivants ?

JONATHAS.

Eh bien ! apprenez donc le sujet de ma joie :
Il vit !...

MICOL.

                 Il vit ! ô ciel !

JONATHAS.

                                             Et Dieu vous le renvoie !

MICOL.

Est-il vrai ? quoi ! David ! Ne me trompez-vous pas ?
Je reverrais David !

DAVID, s’élançant du bosquet ou il était caché.

                                 David est dans tes bras !

MICOL, après un moment d’égarement.

Dieu ! n’est-ce point un songe ? Est-il vrai que je veille ?
David ! quoi ! c’est sa voix qui frappe mon oreille !
Je le vois, je le touche ! O Dieu qui me le rends,
Ah ! laisse-moi mourir dans ses embrassements !

DAVID.

Une seconde fois s’il faut que je la pleure,
Dieu qui vois mon délire, ô Dieu ! fais que je meure !

JONATHAS, à David.

Non, rien ne saurait plus l’arracher de tes bras !

MICOL, à David.

Non : nous mourrons ensemble, ou je suivrai tes pas
Mais parle ! qu’as-tu fait ? dans quel climat sauvage
As-tu caché tes jours, pendant ce long veuvage ?
Quel Dieu te protégea ? quel Dieu t’a ramené ?

DAVID.

Hélas ! traînant partout mon sort infortuné,
Quels bords n’ont pas été témoins de ma misère ?
J’ai porté ma fortune aux deux bouts de la terre ;
D’abord, loin des humains, seul avec ma douleur,
J’ai cherché les déserts et j’aimais leur horreur ;
Des profondes forêts j’aimais les vastes ombres ;
Les monts et les rochers et leurs cavernes sombres
M’ont vu pendant deux ans troubler leur triste paix,
Disputer un asile aux monstres des forêts,
Arracher aux lions leur dépouille sanglante,
Et me nourrir comme eux d’une chair palpitante.
Du moins lorsque la nuit enveloppait les cieux.
Je gravissais les monts qui dominaient ces lieux,
Et, parcourant de loin cette immense étendue,
Je revoyais la terre à mes yeux si connue ;
La lune, me prêtant ses paisibles clartés,
Me montrait ces vallons par mon peuple habités,
La plaine où tant de gloire illustra mon jeune âge,
Et du fleuve sacré le paisible rivage ;
Sur son cours fortuné j’attachais mes regards,
Et mes yeux de Sion distinguaient les remparts !
« Voilà Sion ! disais-je. Et voilà la demeure
Où soupire Micol, où Jonathas me pleure !
Tout ce qui me fut cher habite dans ces lieux ! »
Et je ne pouvais plus en détacher mes yeux.
Enfin, las de traîner ma honteuse existence,
Dans mes oisives mains je ressaisis ma lance,
Et, brûlant de trouver un illustre trépas,
J’allai chercher la mort au milieu des combats !
J’allai chercher la mort, je rencontrai la gloire !
Je volai, comme ici, de victoire en victoire ;
Plus d’un peuple étonné me demanda pour roi :
J’ai préféré mourir à régner loin de toi ;
Et je retiens enfin, à mes serments fidèle,
Vaincre pour ma patrie ou tomber avec elle.

MICOL.

Mais sais-tu...

DAVID.

                           Je sais tout et ne redoute rien :
Ce bras est votre appui, mon Dieu sera le mien.

MICOL.

Mais Saül ?

DAVID.

                         Ses malheurs l’auront changé peut-être.

JONATHAS.

Fuis, les moments sont chers, et le roi va paraître ;
Que ce bocage épais te dérobe à ses yeux.

(David se retire.)

MICOL.

Après tant d’infortune, attendons tout des cieux !

 
MICOL, JONATHAS, SAUL.

SAUL, sortant de ses tentes.

L’ombre fuit, et la terre a salué l’aurore.
Quand le Dieu d’Israël me regardait encore,
Chaque jour m’annonçait un bienfait du Seigneur :
Chaque jour maintenant m’apporte son malheur !
Quand le flambeau des cieux va finir sa carrière,
Je crains l’ombre : il revient, et je hais sa lumière !
Mais qui cache aujourd’hui son disque pâlissant ?
O ciel ! il s’est voilé d’un nuage sanglant !
D’une clarté livide il couvre la nature !
Voyez les eaux ! le ciel ! les rochers ! la verdure !
Tout ne se peint-il pas d’une horrible couleur ?
Soleil, je te comprends, et je frémis d’horreur !

MICOL.

Mon père, calmez-vous ! jamais sur la nature
L’aurore n’a paru plus sereine et plus pure.

JONATHAS.

O mon roi ! quel prestige a fasciné vos yeux ?
Jamais un jour plus beau n’a brillé dans les cieux.

SAUL.

Qui me soulagera du poids de ma vieillesse ?
Hélas ! qui me rendra les jours de ma jeunesse ?
Aux plaines de Gessen qui conduira mes pas ?
Qui me rendra ma force au milieu des combats ?
Qui me rendra ces jours où ma terrible épée
Brillait comme l’éclair au fort de la mêlée ?
Où, comme un vil troupeau dispersé devant nous,
Le superbe étranger embrassait nos genoux ?
Autrefois tous mes jours se levaient sans nuage !
Tel qu’un jeune lion amoureux du carnage.
Chaque jour j’attaquais un ennemi nom eau,
Chaque jour m’apportait un triomphe plus beau ;
Israël reposait à l’ombre de mes tentes ;
Je chargeais ses autels de dépouilles sanglantes !
Et le peuple de Dieu, couronnant son vengeur.
Disait : « Gloire à Saül ! » et moi : « Gloire au Seigneur ! »

(Un moment de silence.)

Et maintenant, que suis-je ? une ombre de moi-même :
In roi qu’on abandonnée son heure suprême !
Combattant vainement cette fatalité,
Ce pouvoir inconnu dont je suis agité.
Persécuté,«puni, sans connaître mon crime,
Par une main de fer entraîné dans l’abîme,
Triste objet de pitié, de mépris ou d’effroi,
L’esprit du Dieu vivant s’est séparé de moi !

MICOL.

O mon père ! éloignez cette horrible pensée !

JONATHAS.

Rappelez, ô mon roi ! votre vertu passée !
Soyez toujours Saül ! qu’Israël aujourd’hui
Retrouve en vous son roi, son vengeur, son appui.
Ramenez la fortune au bruit de votre gloire.

SAÜL.

Malheureux ! Est-ce à moi de parler de victoire ?
Va ! loin des cheveux blancs la victoire s’enfuit !
Des bonheurs d’ici-bas la vieillesse est la nuit !
Ce bras est impuissant à sauver ma couronne ;
Dieu la mit sur mon front, mais ce Dieu m’abandonne ;
Et partout un abîme est ouvert sous mes pas.

JONATHAS.

Nous fléchirons le ciel !

SAUL.

                                     On ne le fléchit pas.
Inexorable, au gré de son ordre suprême
Il conduit les mortels, les peuples, les rois même :
Aveugles instruments de ses secrets desseins.
Tout tremble devant nous ; nous tremblons dans ses mains.
Sous les doigts du potier l’argile est moins soumise,
Et Dieu, quand il lui plaît, nous rejette et nous brise ;
Il m’a brisé, mon fils ! j’ai régné, j’ai vécu !
Bientôt ma race et moi nous aurons disparu !

JONATHAS.

D’où vous vient, ô mon roi ! cet effrayant augure ?

SAUL.

Ah ! je lis mon arrêt sur toute la nature !
In fantôme implacable agite mon sommeil.
Un fantôme implacable assiège mon réveil.
Mille songes affreux, sans liaison, sans suite,
Sont présents à toute heure à mon âme interdite :
Un jeune homme expirant sous un coup inhumain !...
Un vieillard malheureux se perçant de sa main !...
Un trône en poudre... un roi dont le destin s’achève,
Un astre qui s’éteint... un autre qui se lève...
De la joie et du sang !... un triomphe !... un cercueil !...
Et des chants de victoire ! et des accents de deuil !
Ce désordre confus et ces sombres images
Peut-être du sommeil sont-ils les vains ouvrages.
J’ai fait pour les lier des efforts superflus :
Mon fils, depuis longtemps Dieu ne m’éclaire plus !

JONATHAS.

Demandez-lui, seigneur, sa force et sa lumière ;
Espérez tout de lui !

SAUL.

                               Que veux-tu que j’espère ?
Où sont mes défenseurs ? où sont mes compagnons ?
Le glaive a moissonné leurs vaillants bataillons ;
Au milieu des combats ils sont tombés sans vie :
Je foule leur poussière, et je leur porte envie !
Ils sont morts sans leur frère en vengeant leur pays !
C’est moi qu’il faut pleurer, puisque je leur survis !
Quel appui, Dieu puissant, reste-t-il à ta cause ?
Sur quel héros faut-il que mon bras se repose ?
Un vieillard, un enfant, une femme et des pleurs,
Voilà donc mon espoir ! voilà donc tes vengeurs !

MICOL.

Il en restait un autre !

SAUL.

                                   Et qui donc ?

JONATHAS.

                                                           O mon père,
N’aviez-vous pas deux fils ? n’avais-je pas un frère ?

SAUL.

Que dites-vous ? ô ciel ! oh ! regrets superflus !
Oui, David fut mon fils : hélas ! il ne l’est plus.
David n’est plus mon fils !... Ah ! s’il Tétait encore !
S’il entendait la voix du vieillard qui l’implore !
Si le Seigneur pour nous armait encor sa main
De la foudre sacrée ou d’un glaive divin !
H rendrait à mes sens la force et la lumière,
Et l’ennemi tremblant, couché dans la poussière.
Sous nos coups réunis tomberait aujourd’hui !
Car David est ma force et Dieu marche avec lui.
Mais j’ai brisé moi-même un appui si fidèle ;
C’est par des attentats que j’ai payé son zèle ;
David n’est plus mon fils ! je l’ai trop outragé !
Si mon malheur le venge, il est assez vengé.

 
JONATHAS.

A ce héros, seigneur, rendez plus de justice !
Ah ! s’il savait son prince au bord du précipice,
Ce héros généreux viendrait, n’en doutez pas,
Se venger de vos torts en vous offrant son bras !

SAUL.

Ah ! tu dis vrai, peut-être ; oui, ce cœur magnanime
Est fait pour concevoir un dessein si sublime.
Mais séparé de nous, au fond de ses déserts,
Il n’a point entendu le bruit de nos revers !
Il ne reviendra pas me ramener ma gloire !

JONATHAS.

Eh bien ! seigneur, eh bien ! ce que vous n’osez croire,
Ce fils reconnaissant pour vous l’a déjà fait.

SAUL.

O ciel !

JONATHAS.

                  Oui, de ces lieux s’approchant en secret,
David, humble et tremblant, attend dans le silence
Que son père et son roi l’admette en sa présence.

SAUL.

Quoi ! David ?

JONATHAS.

                           Oui, David, en ce danger pressant,
Veut vous offrir sa tête, ou vous donner son sang.

SAUL.

Ah ! béni soit le ciel qui vers nous le renvoie !
David ? où donc es-tu ? Courez, que je le voie !
Je brûle de serrer dans mes bras attendris
Le salut d’Israël, mon vengeur et mon (Ils !

(Micol et Jonathas se retirent.)

SAÜL, seul.

Je vais donc le revoir ! jour heureux et terrible !
Pour un cœur grand et fier, ô Dieu ! qu’il est pénible
De s’offrir dans l’opprobre et dans l’adversité
Aux regards d’un héros qu’on a persécuté !
Mais que dis-tu, Saül ? Dans ce moment suprême,
Sois juste, et tu seras plus grand qu’il n’est lui-même !

Collection: 
1810

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