Rayons perdus (1869)/Le Sapin

Il est un arbre fier, droit, austère & robuste,
Que n’aime pas l’oiseau, ni la fleur, ni l’arbuste,
Ni la vigne flexible aux rameaux caressants.
Floréal le dédaigne & brumaire l’oublie ;
Et jamais on ne voit que la tempête plie
Sa tête échevelée ou ses bras menaçants.

Il vit seul au milieu de la forêt immense.
Le froid & la nuit sont où son ombre commence,
Et dans le sentiment de ce grand abandon,
Il monte hardiment plus haut que tous les chênes,
Jusqu’à ce que, le front chargé de lourdes chaînes,
Il tombe tout entier aux pieds du bûcheron.

— Je sais un cœur aussi qui porte dans la vie
Son deuil, sans que jamais de sa ligne il dévie,
Seul partout, & toujours épris de l’idéal.
Mais, ainsi qu’au sapin à la triste verdure,
Que m’importent le vent, la pluie ou la froidure,
Le matin ou le soir, brumaire ou floréal ?…

Collection: 
1869

More from Poet

  • Passer tout près, passer et regarder de loin,
    Et frémir sans oser continuer la route,
    Et refouler, de peur d’un indiscret témoin,
    Ces derniers pleurs, tout prêts à couler goutte à goutte !

    De lourds nuages gris que l’éclair déchirait
    Cachaient tout l’...

  • La vie est si souvent morne & décolorée,
    À l’ennui l’heure lourde est tant de fois livrée
    Que le corps s’engourdit,
    Et que l’âme, fuyant les épreuves amères,
    S’envole & vient saisir à travers les...

  • Ô les charmants nuages roses,
    Les jolis prés verts tout mouillés !
    Après les vilains mois moroses,
    Les petits oiseaux réveillés
    S’envolent aux champs dépouillés.

    Tout là-haut ce n’est que bruits d’ailes,
    Rendez-vous, murmures, chansons ;
    Aux toits...

  • Lors de ma dix-septième année,
    Quand j’aimais & quand je rêvais,
    Quand, par l’espérance entraînée,
    J’allais, riant des jours mauvais ;
    Quand l’amour, ce charmeur suprême,
    Endormait le soupçon lui-même
    Dans mon cœur craintif & jaloux ;
    Quand je n’...

  • Rentrez dans vos cartons, robe, rubans, résille !
    Rentrez, je ne suis plus l’heureuse jeune fille
    Que vous avez connue en de plus anciens jours.
    Je ne suis plus coquette, ô mes pauvres atours !
    Laissez-moi ma cornette & ma robe de chambre,
    Laissez-moi les porter...