Rayons perdus (1869)/La Lande aux rochers

Qu’il faisait calme & beau, ce soir-là ! L’Angelus
Tintait naïvement de village en village,
Les flots du lac roulaient déferlant sur la plage,
La rainette chantait au revers du talus.

Une charrette au loin, de deux bœufs attelée,
Passait. Nonchalamment assis sur le brancard,
Gaule au poing, pieds pendants, le bouvier nasillard
Éveillait en sifflant l’écho de la vallée,

Tandis que d’un beau ciel, or & pourpre au couchant,
Vert & bleu sombre à l’est, tombait sur les collines
Un vague crépuscule aux teintes opalines,
Qui confondait le bois, le marais & le champ.

C’était la paix partout, la paix sereine & grave ;
Et ceux qui descendaient de la lande aux rochers,
Ce soir-là, relevaient aussi leurs fronts penchés
Et se sentaient le cœur plus joyeux & plus brave.

Collection: 
1869

More from Poet

  • Passer tout près, passer et regarder de loin,
    Et frémir sans oser continuer la route,
    Et refouler, de peur d’un indiscret témoin,
    Ces derniers pleurs, tout prêts à couler goutte à goutte !

    De lourds nuages gris que l’éclair déchirait
    Cachaient tout l’...

  • La vie est si souvent morne & décolorée,
    À l’ennui l’heure lourde est tant de fois livrée
    Que le corps s’engourdit,
    Et que l’âme, fuyant les épreuves amères,
    S’envole & vient saisir à travers les...

  • Ô les charmants nuages roses,
    Les jolis prés verts tout mouillés !
    Après les vilains mois moroses,
    Les petits oiseaux réveillés
    S’envolent aux champs dépouillés.

    Tout là-haut ce n’est que bruits d’ailes,
    Rendez-vous, murmures, chansons ;
    Aux toits...

  • Lors de ma dix-septième année,
    Quand j’aimais & quand je rêvais,
    Quand, par l’espérance entraînée,
    J’allais, riant des jours mauvais ;
    Quand l’amour, ce charmeur suprême,
    Endormait le soupçon lui-même
    Dans mon cœur craintif & jaloux ;
    Quand je n’...

  • Rentrez dans vos cartons, robe, rubans, résille !
    Rentrez, je ne suis plus l’heureuse jeune fille
    Que vous avez connue en de plus anciens jours.
    Je ne suis plus coquette, ô mes pauvres atours !
    Laissez-moi ma cornette & ma robe de chambre,
    Laissez-moi les porter...