Réflexion sur la maxime d’Épicure

Je sais que Partisan d’une austère sagesse,
Que nourri de l’esprit d’Épicure et Lucrèce,
Tu penses que le Sage avec tranquillité
Laisse couler en paix cette suite d’années
Dont nous font en naissant présent les Destinées ;
Qu il ne doit, occupé de son oisiveté,
S’embarrasser des soins de la Chose publique,
Mais goûter à longs traits la molle Volupté,
        Loin du tourbillon politique.

Souffre, mon cher Damon, qu’à tes préventions
J’ose opposer ici quelques réflexions,
Et que mon amitié, contraire à ton système,
        T’impose une espèce de loi,
En te faisant sentir ce que doit à soi-même,
Ce que doit à l’État un homme tel que toi.

        Dès-lors que né sous d’heureux temps
        Où le mérite et les talens
        Ont une sûre récompense,
        Sans qu’il en coûte d’innocence,
        De manege ni de détour,
Sans l’indigne métier d’aller faire sa cour ;
        Un doux regard de la Fortune,
        Après un long aveuglement,
        D’une condition commune
        Vous appelle au Gouvernement,
On ne doit plus souffrir que la Raison replique ;
Il faut pour son pays un entier dévouement,
        Et l’on doit rigoureusement
Compte de ses talens à la Chose publique.
Adieu donc pour jamais, Calme, Tranquillité,
        Enfans de mon indépendance ;
Ne goûterai-je plus ma chère Liberté
        Dans les bras de la Nonchalance ?
Quitte, quitte, Damon, d’inutiles regrets
        Qui doivent au plus être faits
Pour ces Esprits bornés qui ne font rien sans peine,
Et qui sur leurs bureaux attachés à la chaine,
        Abymés dans un vil détail,
Mais privés des clartés que le Ciel leur dénie,
        Croient que la peine et le travail
        Peuvent tenir lieu de génie.

Pour toi de qui l’esprit dans sa vaste étendue
Découvre tout d’un coup la fin et les moyens,
        Et fertile en expédiens,
        En voit cent d’une seule vue ;
        Chaque jour tes heureux talens
        Aux Gens d’État si nécessaires,
        Des plus épineuses affaires
        Te feront des amusemens :
        Ainsi parmi les mouvemens
        Dont l’embarras paroît extrême,
        Le sage trouve des moments
        Pour habiter avec lui-même.

Surtout que la grandeur n’enfle point ton courage ;
Avec un esprit haut mêle un accueil si doux
Que, qui de ta fortune auroit été jaloux,
        Te pardonne tout l’avantage
        De ton odieuse splendeur,
        En faveur du modeste usage
        Que tu feras de ta grandeur.
        Mais hélas ! quoi qu’on puisse faire,
        La Prudence ne sert de rien :
        La fortune est femme et légère,
        Son caprice seul la retient.
        Des plus aimables maîtresses
Elle a l’empressement et la vivacité ;
        Mais ses infidèles caresses
        Tiennent de leur légéreté.
Tremble donc au milieu de ta prospérité,
        Quand, du battement de ses ailes
        La volage Divinité
        Portera ses faveurs nouvelles
        Chez un bien moins digne que toi.
Prêt à lui pardonner son manquement de foi,
Remets-lui les trésors dont ses mains infidelles
        T’avoient si richement doté ;
        Et foulant aux pieds ses largesses,
        Préfere à l’éclat des richesses
        Une honorable pauvreté.

C’est lors que tu verras la Troupe fugitive
De tous tes Complaisans disparoître à tes yeux,
        Et leur amitié trop craintive,
Qui te cherchoit partout, t’éviter en tous lieux :
À ces adversités oppose un front d’airain ;
        Reçois d’un visage serein
        La nouvelle de ta défaite :
        Fais une honorable retraite ;
Ne va point par des cris exhaler ta douleur,
D’aucun emportement qu’elle ne soit suspecte ;
        Et que ton silence respecte
        L’injustice de ton malheur.
Étouffe dans ton cœur tout retour de tendresse
Vers un objet ingrat de ta tendre amitié ;
        Et chasse, comme une foiblesse,
L’indigne sentiment d’aller faire pitié ;
        Va plutôt, d’une âme hardie,
        Suivre le sentier peu battu
De ceux qui, comme moi, bravent la perfidie
        D’amis dont le cœur abattu
        Laisse le Mensonge et l’Envie
        Attaquer la plus belle vie,
        Et faire injure à la Vertu.

Collection: 
1659

More from Poet

Le destructeur impitoyable
Des marbres et de l’airain,
Le Temps, ce tyran souverain
De la chose la plus durable,
Sappe sans bruit le fondement
De notre fragile machine ;
Et je ne vis plus un moment
Sans sentir quelque changement
Qui m’avertit de...

 
 
C’est toi qui me rends à moi-même ;
Tu calmes mon cœur agité ;
Et de ma seule oisiveté
Tu me fais un bonheur extrême.
 
Parmi ces bois et ces hameaux
C’est là que je commence à vivre ;
Et j’empêcherai de m’y suivre
Le souvenir de...

Pour des Rondeaux, Chant-Royal et Balade,
Le temps n’est plus ; avec la Vertugade
On a perdu la veine de Clément :
C’étoit un Maître ; il rimoit aisément ;
Point ne donnoit à ses Vers l’estrapade.

Il ne faut point de brillante tirade,
De jeu de mots, ni d’...

La foule de Paris à présent m’importune,
Les Ans m’ont détrompé des maneges de Cour ;
Je vois bien que j’y suis dupe de la Fortune,
Autant que je le fus autrefois de l’Amour.

Je rends graces au Ciel que l’esprit de retraite
Me presse chaque jour d’aller bientôt...

Je sais que, partisan d’une austère sagesse,
Que, nourri de l’esprit d’Épicure et Lucrèce,
Tu penses que le sage avec tranquillité
Laisse couler en paix cette suite d’années
Dont nous font en naissant présent les destinées ;
Qu il ne doit, occupé de son oisiveté,...