Abbé, dont le discours flatteur,
Qu’avec grace ta Muse étale,
Vient par un murmure enchanteur
Tâcher d’endormir ma morale ;
Tu crois qu’avec avidité,
Déjà l’Amour-propre enchanté
Avale la délicatesse
D’un poison si bien apprêté :
Je sens, malgré ma vanité,
Que je dois à ta politesse
Beaucoup plus qu’à la vérité.
Il faut avouer sa foiblesse,
J’en conviens, puisque tu le veux.
Né sensible & voluptueux,
Source où tous mes défauts ont pris leur origine ;
Soit bien traité, soit malheureux,
J’ai vécu souvent amoureux ;
Toujours d’humeur si libertine
Dans l’engagement que j’ai pris,
Qu’au mépris des Pasteurs fidelles
Mon amour eut toujours des aîles
Aussi bonnes du moins que celui de Cloris.
Ovide, que je pris pour Maître,
M’apprit qu’il faut être fripon ;
Abbé, c’est le seul moyen d’être
Autant aimé que fut Nason :
Catulle m’en fit la leçon.
Pour Tibulle, il étoit si bon,
Que je crois qu’il auroit dû naître
Sur les rivages du Lignon ;
Et là, qu’on l’eût placé peut-être
Entre la Fare et Céladon.
L’Amour fut-il jamais fait pour être durable ?
C’est le feu d’un éclair, un peu solide bien ;
C’est un songe enchanteur, un fragile lien
Que ne forme et ne rompt rien qui soit raisonnable.
Le Pere des Héros, ce Dieu si redoutable
Que la Victoire suit par-tout dans les combats,
Avoit beau paroître estimable,
Sa Maîtresse ne laissa pas
De découvrir à nud ses plus secrets appas
Au berger qui parut aimable
À la femme de Ménélas.
Chez moi tous les amusements
Ont encore une libre entrée ;
Mais fût-ce une chaîne dorée,
J’en hais tous les attachemens.
Pour toi, qu’un teint vif et fleuri
Et la perruque bien poudrée,
Flattent d’être le favori
Encor de quelque migeorée ;
Goûte l’erreur des passions,
Étends tout au plus loin les bornes du bel âge :
La moindre de tes actions
Vaudra bien mieux que la plus sage
De toutes mes réflexions.
Moi, qui sens qu’à grands pas la Vieillesse s’avance,
Et qui, par mille changemens,
Connois déjà la décadence
Qu’apporté le nombre des ans,
Dans une douce nonchalance
Je jouis du printemps, du soleil, d’un beau jour ;
Je vis pour moi, content que ma seule indolence
Me tienne lieu de biens, de fortune & de Cour.
Si j’ai du goût pour quelque Belle,
J’y trouve du plaisir, & n’en crains point de maux;
Je ne veux que boire avec elle,
Et me moquer de mes Rivaux.
Revenu des erreurs, après de longs détours,
Comme moi, vous aurez recours
Quelque jour aux leçons de la philosophie,
Qui ne déçut jamais le sage qui s’y fie,
Et dont j’ai si souvent éprouvé le secours.
C’est elle qui me fait avec tranquillité
Regarder fixement le terme de la vie.
Occupé seulement du soin de ma santé,
De goûter à longs traits ma chère liberté
Qu’une foule d’Erreurs m’a si long-temps ravie ;
L’Avenir sur mon front n’excite aucun nuage,
Et bien loin de craindre la mort,
Tant de fois battu par l’orage,
Je la regarde comme un port
Où je n’essuierai plus tempête ni naufrage.
À M. l’abbé Courtin
More from Poet
-
Le destructeur impitoyable
Des marbres et de l’airain,
Le Temps, ce tyran souverain
De la chose la plus durable,
Sappe sans bruit le fondement
De notre fragile machine ;
Et je ne vis plus un moment
Sans sentir quelque changement
Qui m’avertit de... -
C’est toi qui me rends à moi-même ;
Tu calmes mon cœur agité ;
Et de ma seule oisiveté
Tu me fais un bonheur extrême.
Parmi ces bois et ces hameaux
C’est là que je commence à vivre ;
Et j’empêcherai de m’y suivre
Le souvenir de... -
Pour des Rondeaux, Chant-Royal et Balade,
Le temps n’est plus ; avec la Vertugade
On a perdu la veine de Clément :
C’étoit un Maître ; il rimoit aisément ;
Point ne donnoit à ses Vers l’estrapade.Il ne faut point de brillante tirade,
De jeu de mots, ni d’... -
La foule de Paris à présent m’importune,
Les Ans m’ont détrompé des maneges de Cour ;
Je vois bien que j’y suis dupe de la Fortune,
Autant que je le fus autrefois de l’Amour.Je rends graces au Ciel que l’esprit de retraite
Me presse chaque jour d’aller bientôt... -
Je sais que, partisan d’une austère sagesse,
Que, nourri de l’esprit d’Épicure et Lucrèce,
Tu penses que le sage avec tranquillité
Laisse couler en paix cette suite d’années
Dont nous font en naissant présent les destinées ;
Qu il ne doit, occupé de son oisiveté,...