Réconciliation

Air : L’Astre de nuit dans son paisible éclat.

Ô Canada ! que tes jours étaient beaux
Quand l’amitié dévoilait leur aurore !...
Tes ennemis se donnent tes lambeaux
Comme un fruit mûr que leur haine dévore :
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons, (bis)
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

La liberté les eût bientôt soumis,
Ils tremblaient tous à sa mâle démarche ;
Et nous brisions les fers qu’ils avaient mis
Au peuple enfant qui grandit et qui marche.
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Nous chercherions, même au seuil de la mort,
Nos droits ravis, la liberté sanglante :
Mais attendez, vous qui courez plus fort,
L’étoile encore apparaît vacillante.
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

L’aiglon, de l’aigle a le perçant regard,
Mais l’heure encor, l’heure n’est pas venue ;
Attendez donc, frères, un peu plus tard,
L’aiglon plus grand pourra raser la nue.
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Pourquoi briser les liens les plus beaux ?
Vous nous fuyez, et nous sommes vos frères,
Et nous pleurons sur les mêmes tombeaux,
En remuant les cendres de nos pères.
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Qui d’entre nous devait avoir perdu
Le noble droit de dire sa pensée ?
Dites celui dont le cœur est vendu
Ou quelle idole est par nous encensée ?
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Contre l’honneur d’un lâche parchemin
Qui donc de nous échangera sa patrie ?
La liberté n’a-t-elle qu’un chemin ?
En la cherchant, l’avons-nous donc flétrie ?
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Non, frères, non, vous le verrez encor,
La liberté fut toujours notre idole :
Au culte impur d’un scandaleux Veau-d’or
Nous n’avons point vendu notre symbole.
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Dans le creux noir d’un abîme profond,
Le sang bouillonne en un torrent rapide ;
Vous avez dit : « Passons-le d’un seul bond,
Ne craignons pas, c’est un ruisseau limpide. »
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Soudain votre oeil a mesuré l’élan ;
Le prendrez-vous sans attendre la foule ?
Ah ! déchirez ces pages d’un roman ;
Le gouffre est large, et c’est du sang qu’il roule !
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Pour s’abreuver et de sang et de fiel,
Il faudra plus qu’une soif éphémère ;
Frères, aussi, peut-être que le ciel
Rendra pour nous la coupe moins amère.
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Un peu plus loin tout près d’un olivier,
Nous croyons voir une route plus sage :
Là, la raison tient son dernier levier,
Et la prudence a son dernier passage.
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Nous trancherons là le noeud gordien ;
Car pour entrer dans la terre promise,
Quand la raison, frères, ne peut plus rien,
Le glaive est juste et la hache est permise.
Rapprochons-nous, puis espérons...
Puis, si leur crime se consomme,
Frères alors nous marcherons,
Nous marcherons comme un seul homme,
Comme un seul homme.

Collection: 
1837

More from Poet

  • Quels sont, ô mon pays, cet ébat sanguinaire,
    Cette ardeur parricide, et ces débris fumants !
    Pleure, oh! pleure du sang!... comme un drap funéraire,
    De neige un froid linceul étreint tes fils mourants !

    Le voilà donc enfin ce volcan politique
    Soufflant au cœur...

  • Air : L’Astre de nuit dans son paisible éclat.

    Ô Canada ! que tes jours étaient beaux
    Quand l’amitié dévoilait leur aurore !...
    Tes ennemis se donnent tes lambeaux
    Comme un fruit mûr...

  • Épigraphe sanglant d’un drame ensanglanté,
    Aux parois de ces murs quelle main t'a jeté ?
    Osas-tu, noble élan d’une vengeance active,
    Sarcasme audacieux, défier l’oppresseur ?
    D’une épouse éplorée es-tu la voix plaintive,
    Ou le cri d’un mourant qui demande...

  • La cloche tinte au vieux clocher
    Et l’aviron suit la voix du nocher.
    Sur le rivage il se fait tard.
    Chantons, chantons l’air du départ :
    Nagez, rameurs, car l’onde fuit,
    Le rapide est proche et le jour finit.

    Pourquoi donner la voile au vent !
    Pas un...

  • Canada, terre d’espérance,
    Un jour songe à t’émanciper ;
    Prépare-toi dès ton enfance,
    Au rang que tu dois occuper ;
    Grandi sous l’aile maternelle,
    Un peuple cesse d’être enfant :
    Il rompt le joug de sa tutelle,
    Puis il se fait indépendant....