Ce jour de l’an, un camarade
Que je n’attendais du tout point,
Vint me régaler d’une aubade,
Et me dire à brûle-pourpoint :
« — Qu’est-ce que tu fais cette année ? »
Sur le même ton qu’il m’eût dit :
Quel est l’emploi de ta journée ?
Ah ! la canaille ! le bandit !
Puis, réfléchissant qu’une année
Est, hélas ! sans nulle merci,
Presque aussitôt morte que née,
Je lui répondis donc : « Voici :
Bien entendu, ma vieille branche,
Nous laissons de côté Janvier,
Qui n’est guère qu’un long dimanche.
Je commence par Février.
Or, en Février, j’ai la flemme.
Je ne saurais rien combiner,
C’est un mois trop court. On n’a même
Pas le temps de se retourner.
En mars, si je bouge d’un pouce,
C’est bien par curiosité ;
Je vais voir si la feuille pousse
À l’arbre de la Liberté.
Mais quoi ! tous les ans, je constate
Qu’il n’est toujours qu’un échalas.
En Avril, mon Dieu !… je me tâte
Et j’attends les premiers lilas
De Mai. L’âpre désir me gagne,
Alors, de fuir loin de Paris,
Et de distraire à la campagne
Si j’ose dire… mes esprits.
À ces fins, en juin, je consulte
L’Indicateur, lequel, pour moi,
Est comme une science occulte.
J’y renonce, et je me tiens coi.
En Juillet, si le soleil brille,
Avec tout un peuple fringant,
Je vais reprendre la Bastille…
C’est mon mois le plus fatigant.
Si bien qu’en Août, mon petit père,
Je bois, et j’y suis bien forcé.
Faut-il pas que je récupère
Sang et sueur que j’ai versés ?
En Septembre ?… voyons… que fais-je ?…
Je ne puis pas me rappeler.
Mais sois sûr que, comme au collège,
Je ne dois guère me fouler.
En Octobre, encore qu’en panne
Au sein de mon appartement,
Comme le vulgaire profane,
Je rentre officiellement.
En Novembre, mois triste et blême,
Afin d’honorer mieux les morts,
Ne voulant pas poser moi-même
Pour un être vivant, je dors.
Et, pendant le mois de Décembre,
À l’instar de Chose et Machin,
Je fais, ce qu’ils font à la Chambre,
De beaux projets pour l’an prochain. »