Paysage d’octobre

 
Le torrent a franchi ses bords
Et gagné la pierraille ocreuse ;
Le meunier longe avec efforts
L’ornière humide qui se creuse.
Déjà le lézard engourdi
Devient plus frileux d’heure en heure ;
Et le soleil du plein midi
Est voilé comme un œil qui pleure.

Les nuages sont revenus,
Et la treille qu’on a saignée
Tord ses longs bras maigres et nus
Sur la muraille renfrognée.
La brume a terni les blancheurs
Et cassé les fils de la Vierge,
Et le vol des martin-pêcheurs
Ne frissonne plus sur la berge.

Les arbres se sont rabougris ;
La chaumière ferme sa porte,
Et le petit papillon gris
A fait place à la feuille morte.
Plus de nénuphars sur l’étang ;
L’herbe languit, l’insecte râle,
Et l’hirondelle en sanglotant
Disparaît à l’horizon pâle.

Près de la rivière aux gardons
Qui clapote sous les vieux aulnes,
Le baudet cherche les chardons
Que rognaient si bien ses dents jaunes.
Mais comme le bluet des blé,
Comme la mousse et la fougère,
Les grands chardons s’en sont allés
Avec la brise et la bergère.

Tout pelotonné sur le toit
Que l’atmosphère mouille et plombe,
Le pigeon transi par le froid
Grelotte auprès de la colombe ;
Et, tous deux, sans se becqueter,
Trop chagrins pour faire la roue,
Ils regardent pirouetter
La girouette qui s’enroue.

Au-dessus des vallons déserts
Où les mares se sont accrues,
À tire-d’aile, dans les airs
Passe le triangle des grues ;
Et la vieille, au bord du lavoir,
Avec des yeux qui se désolent,
Les regarde fuir et croit voir
Les derniers beaux jours qui s’envolent.

Dans les taillis voisins des rocs
La bécasse fait sa rentrée ;
Les corneilles autour des socs
Piétinent la terre éventrée,
Et, décharné comme un fagot,
Le peuplier morne et funèbre
Arbore son nid de margot
Sur le ciel blanc qui s’enténèbre.

Collection: 
1866

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