Le Curé et le Mort

Un mort s'en allait tristement
S'emparer de son dernier gîte ;
Un Curé s'en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,
Et vêtu d'une robe, hélas ! qu'on nomme bière,
Robe d'hiver, robe d'été,
Que les morts ne dépouillent guère.
Le Pasteur était à côté,
Et récitait à l'ordinaire
Maintes dévotes oraisons,
Et des psaumes et des leçons,
Et des versets et des répons :
Monsieur le Mort, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons ;
Il ne s'agit que du salaire.
Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,
Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor,
Et des regards semblait lui dire :
Monsieur le Mort, j'aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette
Du meilleur vin des environs ;
Certaine nièce assez propette
Et sa chambrière Pâquette
Devaient voir des cotillons.
Sur cette agréable pensée
Un heurt survient, adieu le char.
Voilà Messire Jean Chouart
Qui du choc de son mort a la tête cassée :
Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ;
Notre Curé suit son Seigneur ;
Tous deux s'en vont de compagnie.
Proprement toute notre vie ;
Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait,
Et la fable du Pot au lait.

Collection: 
1658

More from Poet

  • La Bique allant remplir sa traînante mamelle
    Et paître l'herbe nouvelle,
    Ferma sa porte au loquet,
    Non sans dire à son Biquet :
    Gardez-vous sur votre vie
    D'ouvrir que l'on ne vous die,
    Pour enseigne et mot du guet :
    Foin du Loup et de sa race !
    ...

  • Certain Païen chez lui gardait un Dieu de bois,
    De ces Dieux qui sont sourds, bien qu'ayants des oreilles.
    Le païen cependant s'en promettait merveilles.
    Il lui coûtait autant que trois.
    Ce n'étaient que voeux et qu'offrandes,
    Sacrifices de boeufs couronnés de...

  • Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
    Et de tous les côtés au Soleil exposé,
    Six forts chevaux tiraient un Coche.
    Femmes, Moine, vieillards, tout était descendu.
    L'attelage suait, soufflait, était rendu.
    Une Mouche survient, et des chevaux s'approche ;
    ...

  • Me voici rembarqué sur la mer amoureuse,
    Moi pour qui tant de fois elle fut malheureuse,
    Qui ne suis pas encor du naufrage essuyé,
    Quitte à peine d'un voeu nouvellement payé.
    Que faire ? mon destin est tel qu'il faut que j'aime
    On m'a pourvu d'un coeur peu content...

  • Désormais que ma Muse, aussi bien que mes jours,
    Touche de son déclin l'inévitable cours,
    Et que de ma raison le flambeau va s'éteindre,
    Irai-je en consumer les restes à me plaindre,
    Et, prodigue d'un temps par la Parque attendu,
    Le perdre à regretter celui que j'ai...