C'est assez, mes désirs, qu'un aveugle penser,
Trop peu discrètement vous ait fait adresser
Au plus haut objet de la terre ;
Quittez cette poursuite, et vous ressouvenez
Qu'on ne voit jamais le tonnerre
Pardonner au dessein que vous entreprenez.
Quelque flatteur espoir qui vous tienne enchantés,
Ne connaissez-vous pas qu'en ce que vous tentez
Toute raison vous désavoue ?
Et que vous m'allez faire un second Ixion,
Cloué là-bas sur une roue,
Pour avoir trop permis à son affection ?
Bornez-vous, croyez-moi, dans un juste compas,
Et fuyez une mer, qui ne s'irrite pas
Que le succès n'en soit funeste ;
Le calme jusqu'ici vous a trop assurés ;
Si quelque sagesse vous reste,
Connaissez le péril, et vous en retirez.
Mais, ô conseil infâme, à profanes discours,
Tenus indignement des plus dignes amours
Dont jamais âme fut blessée ;
Quel excès de frayeur m'a su faire goûter
Cette abominable pensée,
Que ce que je poursuis me peut assez coûter ?
D'où s'est coulée en moi cette lâche poison,
D'oser impudemment faire comparaison
De mes épines à mes roses ?
Moi, de qui la fortune est si proche des cieux,
Que je vois sous moi toutes choses,
Et tout ce que je vois n'est qu'un point à mes yeux.
Non, non, servons Chrysante, et sans penser à moi,
Pensons à l'adorer d'une aussi ferme foi
Que son empire est légitime ;
Exposons-nous pour elle aux injures du sort ;
Et s'il faut être sa victime,
En un si beau danger moquons-nous de la mort.
Ceux que l'opinion fait plaire aux vanités,
Font dessus leurs tombeaux graver des qualités,
Dont à peine un Dieu serait digne ;
Moi, pour un monument et plus grand et plus beau,
Je ne veux rien que cette ligne :
L'exemple des amants est clos dans ce tombeau.