L'oeil

Sous l'épais treillis des feuilles tremblantes,
Au plus noir du bois la lune descend ;
Et des troncs moussus aux cimes des plantes,
Son regard fluide et phosphorescent
Fait trembler aux bords des corolles closes
Les larmes des choses.

Lorsque l'homme oublie au fond du sommeil,
La vie éternelle est dans les bois sombres ;
Dans les taillis veufs du brûlant soleil
Sous la lune encor palpitent leurs ombres,
Et jamais leur âme, au bout d'un effort,
Jamais ne s'endort !

Le clair de la lune en vivantes gerbes
Sur les hauts gazons filtre des massifs.
Et les fronts penchés, les pieds dans les herbes,
Les filles des eaux, en essaims pensifs,
Sous les saules blancs en rond sont assises,
Formes indécises.

La lune arrondit son disque lointain
Sur le bois vêtu d'un brouillard magique
Et dans une eau blême aux reflets d'étain ;
Et ce vieil étang, miroir nostalgique,
Semble ton grand oeil, ô nature ! Hélas !
Semble un grand oeil las.

Collection: 
1875

More from Poet

  • J'ai vu passer, l'autre matin,
    Un jeune Dieu dans la prairie ;
    Sous un costume de féerie
    Il sautillait comme un lutin.

    Tout perlé d'or et d'émeraude,
    Sans arc, sans flèche et sans carquois,
    En chantonnant des vers narquois,
    Il s'en allait comme en...

  • ... Et Lazare à la voix de Jésus s'éveilla
    Livide, il se dressa d'un bond dans les ténèbres ;
    Il sortit, trébuchant dans ses liens funèbres ;
    Puis, tout droit devant lui, grave et seul, s'en alla.

    Seul et grave, il marcha depuis lors dans la ville,
    Comme y...

  • Nul rayon, ce matin, n'a pénétré la brume,
    Et le lâche soleil est monté sans rien voir.
    Aujourd'hui dans mes yeux nul désir ne s'allume ;
    Songe au présent, mon âme, et cesse de vouloir.

    Le vieil astre s'éteint comme un bloc sur l'enclume,
    Et rien n'a rejailli sur...

  • Rythme des robes fascinantes,
    Qui vont traînantes,
    Balayant les parfums au vent,
    Ou qu'au-dessus des jupes blanches
    Un pas savant
    Balance et gonfle autour des hanches !

    Arbres bercés d'un souffle frais
    Dans les forêts,
    Où, ruisselant des palmes...

  • J'ai détourné mes yeux de l'homme et de la vie,
    Et mon âme a rôdé sous l'herbe des tombeaux.
    J'ai détrompé mon coeur de toute humaine envie,
    Et je l'ai dispersé dans les bois par lambeaux.

    J'ai voulu vivre sourd aux voix des multitudes,
    Comme un aïeul couvert de...