J'ai croisé sur la route où je vais dans la vie

J'ai croisé sur la route où je vais dans la vie
La Mort qui cheminait avec la Volupté,
L'une pour arme ayant sa faux inassouvie,
L'autre, sa nudité.

Voyageur qui se traîne, ivre de lassitude,
Cherchant en vain des yeux une borne où s'asseoir,
Je me trouvais alors dans une solitude
Aux approches du soir.

Tout à coup, comme à l'heure où le vent y circule,
L'herbe haute a frémi sur le bord du fossé,
Et, près de moi, sortant soudain du crépuscule,
Les deux soeurs ont passé.

Poursuivant sans répit leur marche vagabonde,
Des régions de l'ombre aux rives du matin
Elles portaient ainsi leurs oeuvres par le monde,
Servantes du Destin.

D'un sourire cruel m'ayant cloué sur place,
Je les voyais déjà décroître à l'horizon
Que j'éprouvais encor, plein de flamme et de glace,
Un horrible frisson.

La dernière alouette a crié dans les chaumes ;
Et j'ai repris, d'un oeil craintif tâtant la nuit,
Le chemin où, parmi les pas des deux fantômes,
L'Inconnu me conduit.

Collection: 
1890

More from Poet

  • Tu sommeilles ; je vois tes yeux sourire encor.
    Ta gorge, ainsi deux beaux ramiers prennent l'essor,
    Se soulève et s'abaisse au gré de ton haleine.
    Tu t'abandonnes, lasse et nue et tout en fleur,
    Et ta chair amoureuse est rose de chaleur.
    Ta main droite sur toi se...

  • J'étais couché dans l'ombre au seuil de la forêt.
    Un talus du chemin désert me séparait.
    J'écoutais s'écouler près de moi, bruit débile,
    Une source qui sort d'une voûte d'argile.
    Par ce beau jour de juin brûlant et vaporeux
    L'horizon retenait des nuages heureux....

  • Ce soir, sur le chemin sonore du coteau,
    Nous menons en rêvant notre amour qui frissonne
    D'une obscure tiédeur sous le même manteau.
    Ô crépuscule amer de novembre ! L'automne
    Est soucieux comme un aïeul qu'on va quitter ;
    Son souffle large et fort sur la terre...

  • Saison fidèle aux coeurs qu'importune la joie,
    Te voilà, chère Automne, encore de retour.
    La feuille quitte l'arbre, éclatante, et tournoie
    Dans les forêts à jour.

    Les aboiements des chiens de chasse au loin déchirent
    L'air inerte où l'on sent l'odeur des champs...

  • Qu'on ouvre la fenêtre au large, qu'on la laisse
    Large ouverte à l'air bleu qui vient avant la nuit !
    Je voudrais, ah ! marcher autour de moi sans bruit,
    Entendre ce que dit l'automne à ma tristesse ;
    Car voici la saison où la sève s'épuise.
    C'est un des derniers...