A un maître inconnu

Du temps que j'étais écolier sauvage
En un vieux collège aux livres moisis,
S'en vint jusqu'à moi, s'en vint une page
D'un recueil tout frais de « Morceaux choisis ».

Comme l'eau d'avril au creux des fontaines,
Ainsi le printemps riait dans ces vers.
Je lus - et je vis, aux brumes lointaines,
S'ouvrir les yeux neufs d'un autre univers.

Je n'étais plus seul dans ma solitude :
Un soleil ami, voilé de langueur,
Dorait les bancs noirs de la sombre étude
Et de sa tendresse inondait mon coeur.

Oh ! les beaux vers francs, et de quelle flamme,
Intimes et chauds, comme le foyer!...
Leur chant vous entrait si profond dans l'âme
Qu'en les récitant on croyait prier.

***

De qui étaient-ils ? Je l'ai su peut-être,
Mais je t'en demande humblement pardon :
O maître inconnu qui fus mon vrai maître,
L'enfant que j'étais oublia ton nom.

En devenant homme, il oublia même
Le rythme des mots qui l'avaient charmé...
Mais l'accent secret, le son du poème,
Je l'entends toujours, comme sublimé.

A sa caressante et souple musique
Si vieilli soit-il, mon coeur fond encor,
Et je bénis l'heure où ta main magique
Suspendit en moi ce théorbe d'or.

Collection: 
1893

More from Poet

  • A Reine-Anne

    Voici venir vers nous le soir aux yeux de cendre,
    Clairs encor d'un reflet de la braise du jour
    Dans le couchant d'août, ma mie, allons l'attendre,
    Parmi l'or pâlissant de notre été d'amour.

    Nous lui dirons : « Sois pur, soir pacifique et tendre,...

  • C'est un soir d'octobre, à Beg-Meil.

    Par les marches de l'étendue,
    Rouges encor d'un sang vermeil,
    La nuit pieuse est descendue
    Pour ensevelir le soleil.

    De ses mains ferventes et pures,
    Elle a couché l'astre vital
    Dans les somptueuses guipures
    ...

  • A Madame E.B.

    Un soir que vous rêviez assise au bord des grèves
    Vint s'étendre à vos pieds un harpeur de Quimper.
    Les rêves qu'il chantait ressemblaient à vos rêves
    Comme le bruit des pins aux rumeurs de la mer.

    Il disait la beauté de la terre océane,
    Son...

  • A Maggie

    Octobre m'apparaît comme un parc solitaire :
    Les mûres frondaisons commencent à brunir.
    Et des massifs muets monte une odeur légère,
    Cet arôme plus doux des fleurs qui vont mourir.

    L'étang, les yeux voilés, rêve, plein de mystère,
    Au fantôme...

  • De qui surveillait-il les troupeaux ? On ne sait.

    Mais, chaque soir, à l'heure où le soleil baissait,
    Sur le Roc-Trévézel on le voyait paraître,
    Debout, dans l'attitude immobile d'un prêtre
    En oraison devant l'Esprit de ce haut-lieu...
    Le couchant s'éteignait dans...