Au lavoir de Keranglaz

L'étang mire des fronts de jeunes lavandières.
Les langues vont jasant au rythme des battoirs,
Et, sur les coteaux gris, étoilés de bruyères,
Le linge blanc s'empourpre à la rougeur des soirs.

Au loin, fument des toits, sous les vertes ramées,
Et, droites, dans le ciel, s'élèvent les fumées.

Tout proche est le manoir de Keranglaz, vêtu
D'ardoise, tel qu'un preux en sa cotte de maille,
Et des logis de pauvre, aux coiffures de paille,
Se prosternent autour de son pignon pointu.

Or, par les sentiers, vient une fille, si svelte
Qu'une tige de blé la prendrait pour sa soeur ;
C'est la dernière enfant d'un patriarche celte,
Et sa beauté pensive est faite de douceur.

Elle descend, du pas étrange des statues,
Et, soudain, au lavoir, les langues se sont tues.

L'eau même qui susurre au penchant du chemin
Se tait, sous ses pieds nus qui se heurtent aux pierres,
On voit courir des pleurs au long de ses paupières,
Et sa quenouille pend, inerte, de sa main...

L'étang mire, joyeux, des fronts de lavandières,
Et sait pourtant quel deuil ils porteront demain !...

Collection: 
1893

More from Poet

  • A Reine-Anne

    Voici venir vers nous le soir aux yeux de cendre,
    Clairs encor d'un reflet de la braise du jour
    Dans le couchant d'août, ma mie, allons l'attendre,
    Parmi l'or pâlissant de notre été d'amour.

    Nous lui dirons : « Sois pur, soir pacifique et tendre,...

  • C'est un soir d'octobre, à Beg-Meil.

    Par les marches de l'étendue,
    Rouges encor d'un sang vermeil,
    La nuit pieuse est descendue
    Pour ensevelir le soleil.

    De ses mains ferventes et pures,
    Elle a couché l'astre vital
    Dans les somptueuses guipures
    ...

  • A Madame E.B.

    Un soir que vous rêviez assise au bord des grèves
    Vint s'étendre à vos pieds un harpeur de Quimper.
    Les rêves qu'il chantait ressemblaient à vos rêves
    Comme le bruit des pins aux rumeurs de la mer.

    Il disait la beauté de la terre océane,
    Son...

  • A Maggie

    Octobre m'apparaît comme un parc solitaire :
    Les mûres frondaisons commencent à brunir.
    Et des massifs muets monte une odeur légère,
    Cet arôme plus doux des fleurs qui vont mourir.

    L'étang, les yeux voilés, rêve, plein de mystère,
    Au fantôme...

  • De qui surveillait-il les troupeaux ? On ne sait.

    Mais, chaque soir, à l'heure où le soleil baissait,
    Sur le Roc-Trévézel on le voyait paraître,
    Debout, dans l'attitude immobile d'un prêtre
    En oraison devant l'Esprit de ce haut-lieu...
    Le couchant s'éteignait dans...