Rêve claustral

Je vous connais comme elle, ô murs, travail des nonnes,
Préaux fleuris d'amours furtifs, silencieux
Parloirs, où, par la nuit, l'âme des lunes bonnes
Se distille, rosée errante de leurs yeux ;

Cour grise où tourne le soulier lacé des grandes,
Couvrant sous de longs cils des yeux endoloris,
S'imaginant, le soir des mystiques offrandes,
Causer, dans les rideaux avec de purs esprits.

Je vous ai vus, ô lents tours noirs où les plus braves
Rentrent avec l'effroi du parler patelin ;
Et je vous aime aussi, novices, pour les graves
Désirs tapis aux plis de vos jupes de lin.

Dortoirs religieux, vous me bercez comme elle
Là, le sommeil est le seul des péchés permis,
Et l'on entend monter, bouffonne et solennelle
Leur jeune haleine aux dents des anges endormis.

Je vous adore, froid parfum des sacristies,
Choeur d'agate où le jour, sous un rideau sanglant,
Voit éclore, parmi la danse des hosties,
Le rêve violet d'un doux évêque blanc ;

Chapelle de soupirs, grilles, ombre jalouse
D'où la pensionnaire aux essors fabuleux
Reluque, avec le coeur d'une petite épouse,
Un séraphin charmant, pâle au fond des cieux bleus ;

Prises de voile, où la vierge, en ses frissons vagues,
Sur l'autel, dont la marche a sacré ses genoux,
Ecoute sa toison, qui va fleurir en bagues,
Choir sous les ciseaux saints, terrifiants et doux.

Celle qu'avec le nard pudique d'un roi mage
J'encense dans mon coeur, se meurt là ; j'ai pu voir
Ses yeux, lampes d'amour où brûle mon image,
Et je m'en suis allé, bien ivre... un certain soir !...

Ô toi qui vis dans ces solitudes de femme,
Et qui n'as dû garder de ton été premier
Qu'à peine assez de corps pour contenir une âme,
Colombe en route pour l'éternel colombier ;

Cieux choisis d'où l'on voit pleuvoir encor des mannes
Et descendre sur les fronts des langues de feu,
Ma bouche - en vous rêvant - faite aux argots profanes,
Bégaie une oraison : je me trompe avec Dieu.

Vergers mûrs où la sainte a le respect des mouches,
Cours grises, encensoirs berceurs, avents jeûnés,
Vers vous - comme à vos pieds, chères saintes nitouches -
Je m'agenouille avec la larme des damnés.

Collection: 
1886

More from Poet

Ni tout noirs, ni tout verts, couleur
D'espérances jamais en fleur,
Les ifs balancent des colombes,
Et cela réjouit les tombes.

Elles éclatent, dans les ifs,
Ainsi que des fruits excessifs,
Effeuillant leurs plumes perdues
Au vent des vieilles avenues...

C'est la triste feuille morte
Que le vent d'octobre emporte,
C'est la lune, au front du jour,
Que nulle étoile n'escorte,
Au soleil, c'est mon amour,
L'enfant plus pâle que blanche :
Beau fruit mourant sur la branche !

Mais quand la nuit est levée...

Nous habiterons un discret boudoir,
Toujours saturé d'une odeur divine,
Ne laissant entrer, comme on le devine,
Qu'un jour faible et doux ressemblant au soir.

Une blonde frêle en mignon peignoir
Tirera des sons d'une mandoline,
Et les blancs rideaux tout en...

Elle veille en sa chaise étroite ;
Quelque roi d'Egypte a sculpté
Dans l'extase et la gravité
Le corps droit et la tête droite.

Moitié coiffe et moitié bandeau,
Fond pur à des lignes vermeilles,
Un pan tourne autour des oreilles,
Sa robe est la prison...

Parmi les marbres qu'on renomme
Sous le ciel d'Athène ou de Rome,
Je prends le plus pur, le plus blanc,
Je le taille et puis je l'étale
Dans ta pose d'Horizontale
Soulevée... un peu... sur le flanc...

Voici la tête qui se dresse,
Qu'une ample chevelure...