Il est dit qu'une fois, sur les arides plaines
Qui s'étendent là-bas dans les vieilles forêts,
L'esprit des noirs brouillards qui couvrent ces domaines
Dormit à l'ombre d'un cyprès.
Mais il n'était pas seul : l'air pensif, en cadence,
Pressés autour de lui, des hommes s'agitaient ;
Un chant rompit bientôt leur lugubre silence :
Voici quel chant ils écoutaient:
Foule de guerriers sans courage,
Je le sais et tu t'en souviens,
Parce que tu n'aimais qu'un indigne carnage,
Mes pères ont maudit les tiens.
Parce que tu mangeais des entrailles de femme,
Tu t'engraissais des chairs de tes amis,
Et que jamais, chez toi, n'étincelle la flamme,
Qu'autour de tremblants ennemis.
Va voir, si tu peux, au seuil de nos cabanes,
Les pâles et rouges débris
Des chevelures et des crânes
Qu'en ton sein autrefois ma hache avait surpris.
Foule de guerriers sans courage,
Je le sais et tu t'en souviens,
Parce que tu n'aimais qu'un indigne carnage,
Mes pères ont maudit les tiens.
Viens donc ! apporte la chaudière,
Tu boiras le jus de mes os !
Viens donc !l assouvis ta colère,
Tu ne m'entendras pas pousser de vains sanglots !
Ils frappent : les haches brisées
A leurs pieds tombent en éclats ;
Ils frappent : leurs mains épuisées
Restent sans vigueur à leurs bras.
Lui, cependant, avec un rire horrible,
Le cou tendu, les yeux sans mouvement,
Sur le roc qui voyait cette lutte terrible,
Il s'asseyait en murmurant:
Viens donc ! apporte la chaudière,
Tu boiras le jus de mes os !
Viens donc ! assouvis ta colère,
Tu n'entendras pas pousser de vains sanglots !
A la fin, bondissant de douleur et de rage,
L'esprit de la noire forêt
Jette dans l'air un cri rauque et sauvage,
Ecume, grince et disparaît.
Depuis, nul n'a foulé le morne solitaire,
Alors que les vents de la nuit
Aux horreurs qui couvrent la terre
Ont mêlé leur funèbre bruit.
Car une forme surhumaine,
Hâve, dégoûtante de sang,
Accourt du milieu de la plaine,
Y dresser son front menaçant.