Le Voyage aérien

J’ai rompu le dernier lien
Qui me rattachait à la terre ;
Sur mon navire aérien
Je m’élance dans l’atmosphère.

Le tissu flexible et léger,
Que gonfle le subtil fluide,
Part, sans secousse et sans danger,
Au hasard du vent qui le guide.

La terre s’éloigne de moi ;
Je glisse dans l’air diaphane ;
Je vois l’abîme sans effroi,
Et dans l’immensité je plane.

Les champs dorés et les prés verts,
Les eaux d’argent, les toits de brique,
Forment, avec leurs tons divers,
Une éclatante mosaïque.

Sous un brouillard épais et lourd
Les villes grisâtres pâlissent ;
Leur aspect sombre et leur bruit sourd
Dans le néant s’ensevelissent.

Ô les humaines passions,
Les espérances mensongères !
Ô les basses ambitions
Qui grouillent dans ces fourmilières !

Adieu, terre ! j’ai pris mon vol
Au delà des zones connues ;
Mes pieds ne touchent plus le sol ;
Je sonde l’infini des nues !

Voici le zénith étoilé ;
L’horizon disparaît immense ;
Il semble que Dieu m’ait parlé,
Et que l’éternité commence !…

Mais l’air plus rare a, dans les cieux,
Ralenti mon élan rapide ;
Le froid me saisit, et mes yeux
Se sont couverts d’un voile humide.

Ah ! c’en est fait, l’immensité
Ne sied qu’à l’essence divine ;
Je sens bien que l’humanité
Frémit encore en ma poitrine.

Sur le sol qui soutint mes pas
Est une famille que j’aime ;
Des amis m’attendent là-bas,
Qui me sont plus chers que moi-même.

Ah ! que le soleil etait beau !
Je veux, je veux fouler la terre,
La terre qui fut mon berceau,
Et qui couvrira ma poussière !

Terre, terre, je te revois !
Salut, ma maison sédentaire,
Gaîté des champs, calme des bois !
Salut, mes sœurs, salut, ma mère !

Collection: 
1870

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