Jâai défoncé dâun coup de poing
Un caquillon de vieux gravelle.
Un rayon dâor en ma cervelle
Sâest introduit, je suis à point.
Devant lâarmoire aux confitures
Ma table sâest mise à valser ;
Mon lit demande à mâembrasser.
Seigneur Jésus, que dâaventures !
Et les bouteilles au long cou
Me contemplent dâun air si tendre !
Je ne me lasse pas dâentendre
Les cascades de mon coucou.
Ma foi, tant mieux ! Vive la joie !
Et je souris béatement.
Vous croiriez voir un garnement
Qui sâattable en face dâune oie.
Dâun rayon dâor je suis féru.
Je ris, je ris ; jâen deviens bête.
Et voilà quâen tournant la tête,
Quelque chose mâest apparu.
Câest comme un bateau qui chavire
Comme un prunier qui va branlant,
Câest rose et bleu, câest noir, câest blanc,
Ãa tourne, tourne, et vire, vire.
Tiens, une femme !⦠Eh oui, ma foi,
Même une assez belle gaillarde ;
Voyez-la donc qui me regarde
Et se gaudit, Dieu sait pourquoi.
Ses larges mains sont assez blanches,
Et son visage ! un vrai soleil !
Des yeux noirs, un teint plus vermeil
Que le jour au milieu des branches.
Pas du tout fière avec cela ;
Ce nâest pas une mijaurée.
Au pavillon de la marée
On connaît de ces beautés-là .
« Ah ! dis-je, quel est ce mystère
Et pourquoi me fixer ainsi ?
Ne savez-vous pas que voici
Un vertueux célibataire ? »
« Turlututu, chapeau pointu,
Rassure-toi, fait la donzelle.
Comme toi je suis demoiselle ;
Je nâen veux pas à ta vertu.
Je suis la muse peu sévère
Que nos vieux pères aimaient tant,
La muse qui laisse, en chantant,
Tomber des roses dans son verre.
Marot et le pauvre Villon
Mâont fait courir la pretantaine ;
Sur les genoux de La Fontaine
Jâai retroussé mon cotillon.
Molière aux fers dâune inhumaine
Oubliait tout en mon retrait ;
La bonne vieille Laforêt
Ãtait ma cousine germaine.
Despréaux voulut mâen conter,
Mais ce nâétait que radotage.
Régnier me plaisait davantage ;
Il fallait lâentendre chanter !
Et Voltaire ! La bonne pièce !
Quelle malice ! Avons-nous ri !
Ce fut mon singe favori ;
Mais je nâaimais pas trop sa nièce.
Ah ! Vive Dieu ! que de galants
Mâont adorée à mon aurore !
Ne suis-je pas plaisante encore ?
Je nâai pas même deux mille ans ! »
« Deux mille ans et si peu chenue !
Dis-je, vraiment vous mâétonnez. »
Mais elle fait un pied de nez,
Tire la langue et continue :
« Hélas ! nous étions si contents !
Vêtu de rose et dâémeraude,
On sâen allait à la maraude
Au jardin de Roger Bontemps.
Mais la gaîté nâest plus de mode.
Mettre son cÅur à lâabandon,
Jouer, folâtrer, allons donc !
Câétait bon sous le vieil Hérode !
Jâai vu le temps où nos Français,
La tête au vent comme raquette,
Aimaient à la bonne franquette,
Sans autre forme de procès.
Ils poursuivaient la fantaisie
Au clair soleil, par les prés verts ;
Toujours leur cervelle à lâenvers
Gardait un grain de poésie.
Aujourdâhui, quel monde assommant !
Plus de jeunesse ! on parle en prose.
Le chardon vient après la rose ;
Après le bal, lâenterrement.
Le rire plein, large et sonore,
Le franc rire de nos aïeux
Ne sâenvole plus vers les cieux ;
Câest à jurer quâil déshonore !
Et le bon vin qui fait loucher,
Le vin gaillard, fils de nos vignes,
Où sont les vaillants qui soient dignes,
Ah ! seulement dâen approcher ?
Tandis quâen mon verre il rougeoie,
Plus dâun se râpe le palais
Avec lâale ou le gin anglais.
Ils ont lâivresse, non la joie.
Dâaucuns en pays allemand
Vont se griser de lourde bière ;
Autant vaudrait se mettre en bière
Pour attendre le jugement.
Dâautres, que Dieu les récompense,
Boivent dans un pot à pisser
Quelque chose quâon voit mousser ;
Le cÅur me lève quand jây pense.
Fi, pouah, pouah ! Les vilains goulus !
Le diable soit de leur bourrache ! »
Et la voilà qui tousse et crache :
« Les pauvres gens ! nâen parlons plus. »
« Je voudrais, dis-je, belle brune,
Vous offrir un peu de vin blanc.
Les bouteilles sont sur le flanc,
Hélas ! il nâen reste pas une ! »
« Bah ! mon ami, câest pour le mieux.
Veux-tu savoir ce qui me fâche ?
Câest que le monde soit trop lâche
Pour me regarder dans les yeux ;
Câest, quand pointent la violette,
Le bouton dâor et le souci,
Quâil me faille rester ainsi
à la maison toute seulette.
Car je suis encor sûrement
La mieux faite du voisinage.
Aurais-tu deviné mon âge ?
Ne vaux-je pas un compliment ?
On a beau dire, on a beau faire :
Il faut coqueter ; câest la loi.
On nâest pas belle que pour soi,
Et lâamour est la grande affaire.
Quoi ! Plus même un pauvre bouquet
Noué dâun bout de faveur bleue !
Pas un pompon rose à la queue
De Sans-Souci, mon bourriquet !
Puisque le monde mâabandonne,
Moi qui lâavais tant diverti,
Je te prendrai comme apprenti,
Malgré ton ventre qui bedonne.
Tu ne sembles pas très malin ;
Je te dégourdirai, peut-être.
Jâai bien mené les vaches paître,
Au temps jadis, avec Colin.
Nous irons au soleil de France
Voir reverdir les églantiers. »
Et jâai répondu : « Volontiers !
Grand merci de la préférence.
Que je voudrais vous consoler !
Je vous aime tant ! Câest merveille.
Et voici quâen mon cÅur sâéveille
Un merle prêt à sâenvoler.
Mais je nâai jamais eu de vice,
Jâai peur de rester en défaut.
Saurai-je faire ce quâil faut ?
Mâallez-vous pas trouver novice ? »
« Sois donc tranquille, mon garçon ;
Je tâapprendrai mes ritournelles,
Nous chanterons sous les tonnelles
Le vin, lâamour, Ã lâunisson,
Et nous ferons tant de tapage
Que les gens nous entendront bien.
Tu porteras mon petit chien,
Tu seras mon nègre et mon page. »
« Belle dame, excusez du peu !
Et que de grâces à vous rendre !
Mais, dites-moi, ne peut-on prendre
Un baiser⦠pour lâamour de Dieu ? »
Là -dessus, tout plein de cautèle,
Je mâapproche. Mais en riant :
« Ah ! fi, fi ! Le petit friand !
Câest quâil aime la bagatelle !
Plus tard, plus tard, gros étourdi ;
Fais dâabord ton apprentissage.
à bas les mains ! Voyons, sois sage !
Nous verrons ça lâautre mardi. »
Et tout à coup, par la croisée,
La belle sâenfuit prestement.
Câest un vrai tour dâenchantement ;
Psit, psit ! Plus rien : une fusée !
Jâai beau mâécarquiller les yeux,
Rassembler mes pauvres idées.
Rien que les bouteilles vidées
Qui sâaffalent à qui mieux mieux.
Et je lâavais là tout à lâheure,
Et son sourire était si frais !
Ah ! pour deux sous je pleurerais
Si je savais comment on pleure.
Amour, gaîté, tout est fourbu,
Et maintenant, ma foi, jâhésite.
Est-ce bien vrai, cette visite ?
Qui peut savoir ? Jâavais tant bu !