Vers Paï-lui-chi

I

L’écho douze fois frappé
Par le vers sept fois coupé,
C’est la cadence opportune
D’un couplet bien échappé.

Ce galop sans halte aucune
Semble une bonne fortune
À tout poëte trempé
D’une façon peu commune.

Et sur ce rhythme escarpé,
L’oiseau, d’ombre enveloppé,
Récite au clair de la lune
Les vers de Li-taï-pé.

II

Le flot hennit, le vent crie.
Matelots de ma patrie,
Vers l’empire du milieu,
Emportez-moi, je vous prie,

Afin que je puisse un peu,
Avant le dernier adieu,
Écouter la sonnerie
Des couvents de Lao-Tseu ;

Tandis que dans la prairie
S’ouvre avec coquetterie
Ton cœur d’or bordé de bleu,
O fleur de la rêverie !

III

Hélas ! Le ciel m’a leurré,
Qui m’a mis, pauvre lettré,
Dans ce dur pays des gaules
Par l’action dévoré !

Mon dos fléchit ; mes épaules
Ne sauraient porter les pôles ;
À tout géant plus carré
Je laisse remplir ces rôles,

Moi dont le but avéré
Serait de vivre, à mon gré,
Parmi l’herbe, au pied des saules,
En buvant du vin sucré !

IV

Young-hao ! plus de tristesse !
J’ai fui, j’ai quitté Lutèce,
Je suis un gros mandarin
Tout gonflé de politesse.

Jusqu’au bout, calme et serein,
Je suivrai le même train,
Et quand la mort, sombre hôtesse,
M’ouvrira son souterrain,

Mon fils, par délicatesse,
Un jour ― je ne sais quand est-ce ―
Gardera dans un écrin
Les ongles de mon altesse.

V

Tandis qu’étalant aux yeux
Ses ornements précieux,
Retenu par vingt chaînettes
Dans la chambre des aïeux,

Mon cercueil, aux planches nettes,
Luira comme les planètes,
Tout semé de camaïeux
Et tout garni de sonnettes ;

Et les pères sérieux
Viendront prêcher en ces lieux,
À tous les enfants honnêtes,
La religion des vieux.

VI

Ainsi mon cœur, qui s’englue
À la beauté superflue,
S’en va par monts et par vaux
Loin de la route voulue.

Ainsi, doublant mes travaux,
J’ai sur des rhythmes nouveaux,
Seul, d’une main résolue
Dévidé mes écheveaux.

O lecteur de race élue !
O sapience absolue !
O char à quatre chevaux !
Le tout petit te salue !

Collection: 
1872

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