Ultima verba

O jeunes gens, espoir de l’antique Ausonie,
— Si vous me pardonnez ce langage un peu vieux —
Héritiers et gardiens de son divin génie ;
Vous qui lui referez des jours prestigieux ;

Je vous ouvre en ces vers ma veine généreuse,
Ardente à s’épancher, d’un flot égal et plein ;
Par un matin d’été de la Toscane heureuse,
Au rythme des fléaux qui séparent le grain.

Accueillez, accueillez cette voix amicale !
Elle mêle sa note aux souffles infinis
De la Nature, au cri strident de la cigale :
Oui, recueillez ma voix, ô disciples bénis.

Vous le savez, mon âme est fidèle et vous porte :
En moi je vous sens tous unis, fils dispersés ;
Et j’embrasse avec vous, dans ma tendresse forte,
Vos frères qui viendront, et vos frères passés.

Ici mes souvenirs sont plus fervents encore,
Sous le rayonnement prolongé des soleils.
Ce juillet embrasé, qui féconde et dévore,
Il met de son ardeur dans mes mâles conseils.

Ne vous étonnez pas si, tout vibrant d’oracles,
Devant les épis d’or, l’éternel firmament,
Les horizons, remplis de glorieux spectacles,
Ce poème parfois sonne auguralement.

Enfants, tous vous l’ont dit, votre patrie est belle.
Elle garde pour nous les trésors du grand Art :
Les peuples transportés s’inclinent devant elle ;
Elle enchante le monde avec son clair nectar.

Gracieuse à jamais, elle est, encor, robuste :
C’est d’un geste vaillant qu’elle tend son flambeau ;
Et quand un lutteur las touche sa terre auguste,
Il se lève plus fier, il ressurgit plus beau.

Elle a le don heureux des paroles chantantes :
Qui l’a vue une fois ne peut pas l’oublier ;
On rêve de ses nuits doucement éclatantes,
Que parfume une odeur de rose et de laurier.

Moi, dans chacun de vous je trouve un jeune frère.
Combien de nos héros, dans vos champs, endormis !
Nos deux sangs ont mêlé leur pourpre vive et fière ;
Et vous me souriez, ô radieux amis.

Il est vrai que l’espace aujourd’hui nous sépare ;
Mais contre mon amour l’espace est impuissant.
Vous accourez encore au son de ma cithare :
Je vous parle au milieu d’un éternel présent.

Vous vous serrez autour de moi pour mieux m’entendre.
Comme hier votre voix va répondre à ma voix,
Car vous la trouvez noble, harmonieuse et tendre :
Elle a fait bondir l’âme, en vos seins, tant de fois.

Reconnaissant, j’ai dit : ô Ciel, tu me les donnes !
Vous apportiez la joie au chanteur opprimé ;
Et si quelqu’un jamais m’a tressé des couronnes,
N’est-ce pas l’un de vous que j’ai beaucoup aimé ?

J’ai su les partager, vos ardeurs inquiètes :
Mon présent qui décroît cherchait votre avenir.
Un grand cœur maternel est dans les vrais poètes !
Quand vous étiez amers, je n’ai pas pu dormir.

Que vous veniez d’Ombrie ou veniez de Sicile,
Plus sévères ou plus allègrement joyeux :
Avec vous j’ai plané loin d’un temps imbécile.
Mon génie expirant reprit flamme à vos yeux.

Mûrissez, puisqu’enfin toute jeunesse passe ;
Faites revivre en vous les aïeux immortels ;
Transmettez à des fils la beauté de la race ;
Conservez les foyers et gardez les autels.

Doutant de vous revoir dans ma vie incertaine,
J’ai murmuré : sans doute, il en doit être ainsi ;
J’ai crié : vous dont l’œstre a réveillé ma veine,
Au revoir dans la joie éternelle, et merci !

Votre mémoire en moi demeurera féconde ;
Pour m’exalter le cœur je vous évoquerai…
Tels étaient mes adieux. Mais déjà dans ce monde,
Quelque chose me dit que je vous reverrai…

J’irai : je parcourrai la belle Péninsule,
Vous cherchant, dans l’espoir du cordial accueil.
Quand le matin flamboie ou quand l’occident brûle,
Vous me verrez soudain aborder votre seuil.

Puissé-je y retrouver l’ancienne tendresse !
Oui, que je ne sois pas devenu l’étranger,
Et qu’un de vous encore, en souriant, me tresse
La couronne, et me tende un vin sobre et léger.

Ainsi j’apparaîtrai dans les hautes Abruzzes ;
Dans Naples, la chantante, et Torre del Greco :
Pays où le soir d’or est plein de cornemuses,
Où l’on entend sonner des flûtes dans l’écho.

Je me promènerai par la grecque Apulie ;
Par la Sardaigne ardente au vent chargé de sel :
Je saurai la douceur et la mélancolie
Des lacs lombards, qui sont comme un fluide ciel ;

Et, partout, acclamant le pèlerin lyrique,
M’entoureront, restés à mon âme tous chers,
Les fils, les héritiers de l’Ausonie antique,
Grave et pure Sybille, assise entre deux mers !

Nos entretiens seront poétiques et sages.
Heureux si quelque brise erre en de longs cyprès,
Si le souffle du large effleure nos visages,
Si de sonores flots viennent mourir tout près…

C’est l’espoir que je berce en moi lorsque je veille,
Et qui, dans mon sommeil, me hante, rêve ardent ;
L’espoir qui me poursuit et me chante à l’oreille.
Gardez mon souvenir, amis, en attendant.

Vivez pieux. Pour moi saluez votre mère,
Puisqu’elle vous forma sur ses chastes genoux ;
Et, parmi les hasards qui font la vie amère,
Entendez dans la nuit mon cœur battre pour vous.

Collection: 
1914

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