Les Exilées

Hier, en parcourant les cités populeuses,
Le voyageur pieux trouvait presque toujours
Quelque chapelle étroite, où brûlaient des veilleuses,
Près d’un couvent, aux murs silencieux et sourds.

En entrant il craignait d’éveiller trop les dalles :
Et, dans l’obscurité, vers le Saint Sacrement,
Voici qu’il entendait le chœur des voix claustrales
Sur un rythme alangui soupirer tendrement.

C’était vous qui chantiez, ô Sœurs Visitandines.
Votre plainte montait et mourait tour à tour,
Comme une expression des délices divines
Qu’à ses amantes fait goûter le pur Amour.

Et, votre mélodie évoquant vos images,
A travers le rideau dont vos traits sont voilés,
Le pèlerin croyait deviner des visages,
Pleins d’une paix ardente, et presque auréolés.

Ah ! sens qu’on a domptés avec tout leur tumulte ;
Esprit rassasié si la chair est à jeun ;
Étreintes de la Grâce, à la visite occulte ;
Recherche de l’Époux, qu’on suit à son parfum !

Jours et mois déroulant leur régulière trame ;
Devoir toujours pareil et toujours accepté ;
Calme des mouvements, égalité de l’âme,
Qui porte la souffrance avec tranquillité.

Corridors parcourus, cellule qu’on habite,
Dans le contentement d’un sacrifice obscur
Et qui n’a, pour charmer son humble Sulamite,
Qu’un crucifix d’ivoire et qu’une image au mur,

Et d’amabilité, de simplicité pleines,
Dans vos jardins, alors que mai joyeux éclôt,
Ces récréations vraiment salésiennes,
Où l’âme s’égayait, mais sans s’épancher trop !

Ainsi, tout occupés de la divine gloire,
Car vous saviez le prix indicible du temps,
Sous la guimpe rigide et sous la serge noire,
Dans l’ordre et dans la paix s’écoulaient vos instants…

Mon souvenir vous cherche et ne saurait se taire.
Dès l’aube de ma vie, aux lointaines candeurs,
Par un charme profond, qui n’est pas de la terre,
Vers Dieu, sans le savoir, vous m’attiriez, ô Sœurs.

Votre voix a calmé ma juvénile fièvre :
Souvent je suis venu dans l’ombre l’écouter.
Plus tard ma main tendit l’hostie à votre lèvre ;
Et je voudrais encor vous entendre chanter.

Mais, où vous retrouver, ô colombes proscrites ?
L’impie à tous les vents a jeté vos essaims :
Le temps semble arrivé des ténèbres prédites ;
La Bête est déchaînée et fait la guerre aux Saints.

Je me tourne vers vous, ô nos Sœurs exilées,
Et, qu’il ait de brumeux ou de clairs horizons,
Je bénis le pays où vous êtes allées
Chercher la liberté de vos chères prisons.

Ah ! n’y sentez-vous pas les regrets catholiques
Venir à flots, du fond de notre deuil muet,
O Vierges, aux douceurs un peu mélancoliques,
Qu’aimèrent saint Vincent de Paul et Bossuet ?

En attendant qu’un jour libérateur se lève,
Conservez, dans vos cœurs plus purs que le cristal,
L’esprit du bienheureux évêque de Genève,
Avec l’austérité de Jeanne de Chantal.

Obtenez-nous d’en-haut cette ferme espérance !
Aimant nos ennemis, vous immolant pour eux,
Que vous nous reveniez dans ce pays de France,
Qui, malgré tant d’écarts, demeure généreux.

Portez devant l’autel votre face enflammée,
Couchez-vous sur la Croix plus que par le passé,
Gardez soigneusement votre lampe allumée,
Soyez un holocauste au Cœur qui fut percé.

Demandez, demandez qu’il surgisse une race
Où l’Amour éternel ait de plus vrais amants ;
Et, les bras étendus, pour qu’il nous fasse grâce,
Poursuivez votre Époux de vos gémissements !

Collection: 
1914

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