Tristesse en mer

Les mouettes volent et jouent ;
Et les blancs coursiers de la mer,
Cabrés sur les vagues, secouent
Leurs crins échevelés dans l’air.

Le jour tombe ; une fine pluie
Éteint les fournaises du soir,
Et le steam-boat crachant la suie
Rabat son long panache noir.

Plus pâle que le ciel livide
Je vais au pays du charbon,
Du brouillard et du suicide ;
— Pour se tuer le temps est bon.

Mon désir avide se noie
Dans le gouffre amer qui blanchit ;
Le vaisseau danse, l’eau tournoie,
Le vent de plus en plus fraîchit.

Oh ! je me sens l’âme navrée ;
L’Océan gonfle, en soupirant,
Sa poitrine désespérée,
Comme un ami qui me comprend.

Allons ! peines d’amour perdues,
Espoirs lassés, illusions
Du socle idéal descendues,
Un saut dans les moites sillons !

À la mer, souffrances passées,
Qui revenez toujours, pressant
Vos blessures cicatrisées
Pour leur faire pleurer du sang !

À la mer, spectres de mes rêves,
Regrets aux mortelles pâleurs
Dans un cœur rouge ayant sept glaives,
Comme la Mère des douleurs !

Chaque fantôme plonge et lutte
Quelques instants avec le flot
Qui sur lui ferme sa volute
Et l’engloutit dans un sanglot.

Lest de l’âme, pesant bagage,
Trésors misérables et chers,
Sombrez, et dans votre naufrage
Je vais vous suivre au fond des mers !

Bleuâtre, enflé, méconnaissable,
Bercé par le flot qui bruit,
Sur l’humide oreiller du sable
Je dormirai bien cette nuit !

… Mais une femme dans sa mante
Sur le pont assise à l’écart,
Une femme jeune et charmante
Lève vers moi son long regard.

Dans ce regard, à ma détresse
La Sympathie aux bras ouverts
Parle et sourit, sœur ou maîtresse.
Salut, yeux bleus ! bonsoir, flots verts !

Les mouettes volent et jouent ;
Et les blancs coursiers de la mer,
Cabrés sur les vagues, secouent
Leurs crins échevelés dans l’air.

Collection: 
1831

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