Mai, qu’avait jusqu’alors désolé le vent aigre,
Mai, frileux sous les fleurs, en habit de vinaigre,
S’était enfui, Joyeux, dans le ciel enchanté,
Le chaud soleil de juin proclamait : « C’est l’été ! »
Celle qui connaît bien mon sentiment pour elle
Choisit sa robe claire et sa plus fraîche ombrelle ;
Et pour le beau pays de forêts et d’étangs
Qui cache nos amours depuis quelques printemps,
De grand matin, heureux de vivre, nous partîmes.
Les poiriers du chemin sont nos amis intimes ;
Quand, dans la carriole au vieux cheval boiteux,
Fous passons, les rameaux murmurent : « Ce sont eux ! »
Et, grise de plein air et de grand paysage,
Ma mignonne leur prend des feuilles au passage.
Rien n’a changé. Voici l’auberge. Sur le seuil,
Le vieux chien du logis vient pour nous faire accueil.
Notre chambre est la même. En ouvrant la fenêtre,
La même saine odeur de forêt nous pénètre.
Voici le pied tronqué de l’orme qu’on scia ;
En face, dans le parc, le même acacia
Répand, comme jadis, son odeur printanière.
J’entends le loriot comme la fois dernière,
Et songe : « Le bonheur qui se peut retenir
Est tout dans l’habitude et dans le souvenir. »
Cependant, ma petite amie, ― oh ! comment dire
Le charme tendre et fin de son joli sourire ? ―
Bien contente, elle aussi, de ce coin retrouvé,
A ri, comme autrefois, du portrait mal gravé
Du pauvre Monsieur Thiers en toupet ridicule ;
Elle a mis son chapeau fleuri sur la pendule,
Oté ses gants de Suède, et puis, ayant pensé,
Tout à coup, qu’on ne s’est pas encore embrassé,
Elle s’approche, avec son air sainte-n’y-touche,
Et pose lentement sa bouche sur ma bouche.
Quelle minute !...
Un cri nous appelle soudain.
Le déjeuner ! On est servi dans le jardin,
Sous la tonnelle basse, auprès du jeu de boules.
On court se mettre à table en effarant les poules.
Victoire encor ! Rien n’a changé ! Tout est pareil !
Voici le gai vin blanc qu’il faut boire au soleil
Et dont la courte ivresse en rires se dissipe,
Le lourd couvert d’étain et de terre de pipe
Dont un joyeux rayon fait vibrer les couleurs,
Et des cerneaux tout frais dans une assiette à fleurs.
... Puisque après ce repas nous faisons une pause
Et que mon verre est plein, effeuilles-y la rose,
Ma chère, que tu fais tourner entre tes doigts ;
Car je veux boire au nid de nos amours ! Je bois
Au clocher du village, orné d’un coq de fonte,
Qui depuis cinq printemps, ― à mon âge, on les compte, ―
Le long des jeunes blés, pleins d’oiseaux et de chants,
Nous a vus tant de fois faire un bouquet des champs.
Je bois aux toits moussus où, comme nous fidèles,
Reviennent, chaque été, les bonnes hirondelles.
Je bois aux verts fourrés de ronce et de genêt
Où l’écho semble aimer ta voix qu’il reconnaît.
Je bois aux vieux témoins de nos gaîtés champêtres,
Aux fleurs dans les grands prés, aux fraises sous les hêtres,
A la forêt où chante au lointain le coucou,
Aux sentiers dans lesquels, te baisant sur le cou,
Je t’étreins brusquement pour te dire : « Je t’aime ! »
Enfin, je bois au cher pays, toujours le même,
Où, depuis ce matin, nous sommes de retour,
Chère, et qui n’a pas plus changé que notre amour !